Avec une grande économie de moyens, l’installation de Binta Diaw, 1. 12. 44. (2022), évoque le massacre de Thiaroye près de Dakar en décembre 1944. Les tirailleurs sénégalais engagés par les colonies de l’armée française reviennent au pays, à la caserne de Thiaroye. Ne réussissant pas à obtenir leur solde de la part de l’armée et protestant contre cette iniquité, ils sont assassinés par les forces françaises dans des conditions restées floues. Cette histoire demeure une plaie ouverte de la colonisation française au Sénégal, aucune initiative institutionnelle n’ayant été mise en place pour une démarche de repentance ou d’hommage aux victimes.
L’œuvre 1. 12. 44. (2022) évoque un champ de terre fertile, découpé en pistes couramment utilisées en agriculture qui rappellent le travail que les tirailleurs exerçaient. Il fait également écho aux tranchées de la guerre ou aux nombreux lieux de sépultures inconnus des victimes du massacre. Un chapeau rouge -le chechia, fait écho à l’habillement classique sénégalais. A l’intérieur du chapeau, un léger trou laisse place à la croissance de graines de millet, aliments de base commun aux tirailleurs. Selon Anissa Touati, « Entrer dans la pièce au son des noms des absents, marcher sur le sol, c’est se confronter à l’histoire à ses vides mais c’est aussi la responsabilité de porter de nouveaux récits ».
Au-delà de l’aspect archiviste et documentaire, l’installation de Binta Diaw invite en termes poétiques à une « mémoire de réveil » (Myriam Mihindou). À partir de matériaux simples, accessibles à tous – la terre et sa symbolique liée à l’appartenance, les graines, les plantes, les cheveux, les drapeaux roulés -, elle crée des environnements immersifs qui s’apparentent davantage à un récit confrontant des matériaux contrastés, de l’inanimé au vivant avec des touches subtiles de couleur.
L’artiste accorde une grande place à l’expérience physique et sensorielle du spectateur, l’obligeant à réinsuffler dans sa mémoire les traces d’un passé refoulé et à se positionner face à son lieu d’expérience.
Ses installations se développant souvent dans la salle entière d’une galerie, comme si elle prenait « place » dans un débat post-colonial et eurocentré, contribuent à mettre en exergue la tension d’appartenir à deux mondes. Elle s’inspire des ressources d’un inconscient collectif passé et contemporain qu’elle partage et qu’elle cherche à réactiver. « Sa pratique parle de renaissance, d’accompagnement, de guérison, avec douceur et élégance, en prenant appui sur la nature, un retour à la nature, au bourgeonnement, à la voix, la musique et les travaux communautaires » (Anissa Touati).