Souleymane Keïta (1947 - 2014) est un artiste sénégalais qui a parcouru la deuxième moitié du XXe siècle, entre art moderne et art contemporain. Figure tutélaire de l’art sénégalais de cette époque, il est d’abord identifié à la première génération de l’Ecole de Dakar, avant de s’éloigner dès 1975 des courants artistiques de son temps, traçant en écho une trajectoire singulière, mue par ses voyages (Mali, New York) ; ses origines mandingues ; son lieu à soi, l’île de Gorée ; et une quête d’osmose avec la nature et l’univers.
La Galerie Cécile Fakhoury est très heureuse de présenter sa première exposition personnelle en France. La représentation du travail de Souleymane Keïta est réalisée en collaboration étroite avec la famille de l’artiste, afin de valoriser au mieux cet héritage inestimable. Cette exposition marque un tournant dans l’histoire de la galerie qui étend ici son champ d’action à l’art moderne ouest-africain dont l’histoire et les apports esthétiques restent encore sous-évalués et peu représentés.
L’œuvre de Souleymane Keïta est énigmatique et pleine de signes. Essentiellement abstraite, elle joue pourtant des possibilités offertes par la figuration pour s’inscrire dans un univers sensible. La palette de Keïta ne semble se confronter à l’obscurité que pour mieux laisser percer la lumière, qui évoque les reflets puissants du soleil qui luit au fond de l’eau ou l’éclat des astres dans un ciel nocturne. Son œuvre semble à certains égards relever du mystique, c’est-à-dire d’une force supérieure, qu’on ne peut qu’approcher, jamais traduire ou expliquer, seulement faire éprouver. Les œuvres de Keïta vont d’ailleurs au-delà de la peinture, la plupart étant composées d’éléments matériels comme des clés, du bois, du sable, des coquillages, des pierres, mais surtout du fil et du tissu cousus directement sur la toile – qu’on retrouve dans presque toutes ses œuvres à partir des années 1990.
Les œuvres présentées à l’occasion de cette première exposition ont été réalisées entre 1994 et 2005. Souleymane Keïta travaillant essentiellement de manière sérielle, les séries majeures de l’artiste sont ici représentées, comme Chemise du chasseur, Scarifications, Criquet, Gorée ou Synthèse. Il est néanmoins marquant de voir à quel point toutes les toiles de Keïta dialoguent entre elles, certains signes, certaines techniques ou nuances créant ainsi des ponts entre les œuvres et les différentes périodes de l’artiste.
Keïta peint la présence, la lumière, le poids des choses, « les messages de l’espace, des fonds sous-marins, des plantes et de la musique » ; semblant ainsi atteindre par la peinture le mystère des lois physiques de la nature. Dans des séries comme Scarification ou Chemise du chasseur, Keïta semble se faire l’héritier et le gardien d’une tradition mandingue, évoquant le rituel de scarification de la peau par le fil cousu, ou encore le vêtement traditionnel du chasseur mandingue du nord du Mali par la trame graphique et l’ajout de petits objets rappelant des amulettes, vêtement qui fonctionne alors comme une allégorie dont l’essence symbolique seule semble être conservée.
L’exposition présente aussi quelques toiles de la série Criquet, reconnaissables par les petits aplats de couleurs abstraits sur fond sombre, qui imitent le mouvement de ces insectes, et une maîtrise remarquables des effets de mouvement et de lumière. Les œuvres de Souleymane Keïta possèdent à certains égards une force synesthésique, transportant avec elles les odeurs des embruns et des terres brûlées par le soleil, le vertige de l’éclat éblouissant du soleil ou encore le bruit sourd et inquiétant d’un nuage de criquet à l’horizon. Ses œuvres proposent ainsi une abstraction charnelle, sensorielle, habitée, que l’on pourrait même dire, en assumant le paradoxe, imagée. Une abstraction qui ne serait pas à l’opposé du figuratif, mais plutôt son envers, son essence, sa trame.
Cette première exposition personnelle de Souleymane Keïta est une invitation à se plonger dans son univers, à s’initier aux symboles de la culture mandingue, à se laisser toucher par les associations magistrales de forme, de couleurs et de matières qui font de son œuvre un art singulier et puissant.
« J’écoute, regarde, danse, plonge, vole. Peindre est un état d’âme, une balade dans les grands fonds bleus couleur pastel »
Souleymane Keïta