La chronologie de la carrière de l’artiste fonctionne ici comme fil conducteur discret de l’exposition. Il permet au visiteur de s’immerger dans les divers moments de la créativité de l’artiste. L’exposition commence par son lien à la première génération de l’École de Dakar après sa sortie des Beaux-Arts fin des années 1960 où les œuvres figuratives et colorées de Souleymane Keïta représentent principalement des scènes du quotidien, en dialogue direct avec le courant de la négritude de Senghor qui cherche à développer les tenants esthétiques d’un art africain (Femme noire et plus tard Intérieur). Puis, autour de 1975, après un premier voyage au Mali en 1974, Souleymane Keïta se réinstalle sur l’île de Gorée et s’éloigne de cette figuration propre au « style de Dakar ». L’artiste se consacre désormais à une approche de plus en plus abstraite (Composition I et Composition II).
Les voyages de Souleymane Keïta jouent aussi un rôle crucial dans ses inspirations, sa découverte du Mali, pays de ses ancêtres paternels. Puis New York où Souleymane Keïta côtoie de 1980 à 1985 la scène afro-américaine moderne avec les artistes Bill Hutson, Melvin Edwards et Ed Clark entre autres, scène avec laquelle il partage un temps sa quête d’une juste représentation d’identités complexes – africaines pour lui, afro-américaines pour eux. Il peint alors la très importante série d’œuvres Voyage au Mali – New York.
Puis vient le retour de Souleymane Keïta au Sénégal. Sa réinstallation à Gorée de 1985 à 1995 est une phase de transition où l’artiste expérimente diverses techniques picturales profondément marquées par le mouvement américain de l’expressionnisme abstrait et par la richesse de la nature environnante (Pleine Lune à Gorée, Full Moon, Études des Sardines).
A partir de 1995, quittant l’île de Gorée et s’installant à Dakar, Souleymane Keïta développe certaines de ses séries emblématiques comme Chemises du Chasseurs ou Scarifications qui se chargent petit à petit d’objets et se parent de tissusen hommage avec la culture mandingue de ses origines.
Les deux dernières décennies de sa vie sont consacrées à parfaire la Synthèse des plus beaux moments plastiques de sa quête d’abstraction sensorielle, donnant corps à des œuvres sombres et puissantes où se joue la fabrique du monde.
Cette ligne chronologique, aussi importante soit-elle pour la compréhension du travail de Souleymane Keïta, ne saurait éclipser la symphonie du grand œuvre de l’artiste. La découverte peut se faire libre aussi au gré des détails des toiles qui attrapent l’œil, éclairs de lumière dans l’éther sombre des pigments et constellations d’objets disséminés, dissimulés. Tant de résonnances existent entre les époques, entre les œuvres qu’elles sont, elles aussi, le guide envoutant de cette exposition.
Dans le cadre de l’exposition Et je renais à la terre qui fut ma mère, Les Éditions Cécile Fakhoury ont le plaisir de lancer en avant-première à Dakar l’ouvrage monographique Souleymane Keïta(avril 2024).