La Galerie Cécile Fakhoury a le plaisir de vous présenter Masquerade, l’exposition personnelle de l’artiste ivoirien Aboudia.
Une Masquerade [mascarade] comme un manifeste esthétique. Des gueules montées sur des corps en creux plantés là, à vous regarder droit dans l’âme. Une parade de masques dans laquelle on est tombé par hasard et pas forcément de plein gré ; une manifestation rebelle qu’intérieurement on désapprouve mais qui fascine. "C’est gnagami", le bordel. On n’y comprend rien, il y en a partout, c’est assourdissant. Toujours les mêmes faciès d’une œuvre à l’autre. La répétition incessante d’Aboudia rend ses formes identifiables, des Môgôs au visage de masque Grebo*, avec leurs yeux hypnotisés et leurs sourires crispés. Ils forment un casting redondant et incarné qui joue dans le thriller plastico-esthétique qu’écrit l’artiste depuis plusieurs années. Chacun son attribut - panoplie d’acteur studio - deux poumons, une cage thoracique en clavier de téléphone, une poitrine.
Refaire encore et toujours les mêmes signes, un geste cathartique pour l’artiste. Il faut dire que dans la rue, celle d’Aboudia, il y a quelques obsessions qui traînent. Babi la belle dans un coin de tête dans un coin de toile : l’Afrique du vingt-et-unième siècle émerge. On regarde les créatures-zombies du peintre sortir des bas-fonds de ces villes à peine urbanisées mais déjà saturées, les dents qui rayent le parquet à la conquête de tout et de rien. Les mêmes tronches mais jamais tout à fait la même histoire.
D’un arrière-plan saturé à l’autre, Aboudia tague au pastel coloré de nouveaux chapitres du récit. Il compose pour toujours réécrire la force vitale d’une génération qui a créé sa ville dans la ville, et qui passe son temps à la réinventer. Une ville où l’espace linéaire vient à manquer et qui se construit en couches superposées comme un palimpseste de quotidiens qui se débrouillent.
Aboudia représente ses personnages dans un espace pictural délibérément trop étroit et nous force à imaginer ce qu’il y a en dehors des limites du tableau - le hors champ de la peinture. Ils prennent toute la toile, ses personnages, assumant et affirmant pleinement leur stature dans le cadre, à tel point que le seul moyen pour l’artiste de continuer à construire l’image est de le faire en superposant les reliefs. La rugosité du carton. La transparence du papier journal. Le gras du pastel. L’éclat de la peinture. Les matières se mélangent. Les sujets se juxtaposent et densifient la lecture de l’œuvre.
Ici dans Masquerade, il choisit de puiser dans l’histoire ancestrale qui le poursuit. L’ajout d’images de statuettes africaines découpées, photocopiées, détournées et détourées à l’épure, comme les contours des coloriages pour enfants dressent de nouveaux décors. Scènes magiques et incantatoires d’une mascarade, cérémonie à l'occasion de laquelle apparaissent des porteurs de masques et où se jouent des histoires de société. Aboudia peint cette dualité quotidienne entre urbanité et ancestralité, progrès et tradition.
Ce geste artistique contient peut-être bien un brin de nihilisme. Finalement rien n’existe au sens absolu, tout est relatif à ce qu’il y a autour ; y compris pour le spectateur qui regarde les toiles et ne peut prétendre les interpréter "dans leur cadre" sans intégrer le bruit, les odeurs et les sensations de la ville africaine globale qu’elles génèrent. Dans le white cube de la galerie pénètre alors en trombe un chaos assourdissant, bouillonnement de vie, de couleurs et de formes. En trombe, ils débarquent les Môgos et s’imposent à nous comme les messagers d’une urbanité globale et sans concession.