De Dakar à Abidjan, Kassou Seydou nous entraîne dans une odyssée plastique et poétique autour du voyage.
26 septembre 2002, le navire Joola qui fait la liaison entre le port de Ziguinchor en Casamance au Sénégal, terre d’origine de Kassou Seydou, et celui de Dakar fait naufrage. Du drame humain qui marque encore aujourd’hui les consciences de plusieurs générations de sénégalais, une question demeure : qu’est-ce qui nous pousse encore et toujours au voyage ? Du voyage choisi allégrement au voyage que l’on s’impose ou qui nous est imposé, Kassou Seydou met en scène dans des fresques imposantes les méandres de traversées tant spirituelles que physiques, heureuses ou tragiques. Toujours sensible aux enjeux de société qui touchent son pays et l’ensemble du monde, Kassou Seydou nous invite à remettre en question notre prisme de perception et à embrasser dans un geste généreux et humain les rapports complexes entre construction de l’identité et altérité.
La nouvelle série d’œuvres de l’artiste se situe au croisement de la terre et de la mer, peut-être dans cette zone que l’on appelle l’estran, tantôt couverte ou découverte par les marées, qui charrient avec elles les destins de ses voyageurs, les mémoires anonymes de ses naufragés. Les toiles de Kassou Seydou portent elles aussi ces histoires, dans un désordre minutieux de figures sens dessus dessous, émergées ou immergés, de couleurs froides et chaudes, de courbes et de pleins. Le spectateur plonge avec lui dans cette jungle plastique, univers onirique au sein duquel l’œil s’habitue peu à peu, repère des signes ou devine une narration. Sous l’écume de la mer, ceux dont on croise les regards nous interrogent : de quel monde ces tragédies sont-elles les témoins ? Quand est-ce que l’attente prendra fin ?
Thiaroye, Soumbédioune, Cap Skirring, Djiwalo, autant de villes côtières, autant de lieux de départ, dont le revers espéré serait d’être des portes d’entrée, des lieux de l’ancrage et du devenir plutôt que du souvenir. Kassou Seydou cherche à interroger les fondements du voyage, surtout quand ce dernier prend la forme d’une émigration, et encore plus quand cette dernière est clandestine et dangereuse. Quel extrême est donc atteint quand la seule force de vie restante est celle de risquer la mort ? Depuis son atelier de Keur Massar où l’artiste est installé depuis 2016, l’artiste observe, écoute et s’interroge. Ses peintures nous entraînent, avec leurs spirales hypnotiques, au-delà de la morale et du jugement, vers une introspection des sentiments et de la conscience humaine collective.
De l’ocre au bleu glacial, du vert à l’orange, la palette de l’artiste navigue entre la terre et la mer, entre la jungle et l’océan, espace peuplé de créatures fantastiques, marines ou terrestres. Les personnages qui peuplent les toiles et l’imaginaire de l’artiste, figures élancées aux éternelles coiffures colorées et chaussures en plastiques, interrogent le spectateur sur le sens du désir, de l’attente et de l’espoir qui émanent du voyage. Subtilement, Kassou Seydou semble suggérer que les réponses doivent d’abord être trouvées en nous-mêmes, qu’il n’y a pas de naufrage intérieur qui ne puisse être résolu et nous invite ainsi à chérir la beauté du chaos dansant en chacun de nous.