La Galerie Cécile Fakhoury est heureuse de présenter la nouvelle exposition personnelle d’Aboudia, Tokyo, du 19 juin au 28 août 2021. L’exposition présentera de nouvelles œuvres sur toile et sur papier, une fresque monumentale ainsi qu’une sélection de dessins issus des archives de l’artiste.
Certains reconnaîtront peut-être dans Tokyo, le titre de l’exposition, une référence à Yopougon, quartier d’origine d’Aboudia. A moins que cette traduction nouchi ne soit déjà plus (ou pas encore ?) d’actualité, emportée par le flot incessant de la vie qui caractérise cette langue et ceux qui la parlent et l’inventent chaque jour. Cela n’a pas d’importance. Le titre évoque à lui seul la liberté du geste plastique d’Aboudia, qui dessine un monde à la géographie fluide, qui s’inspire sans réserve d’une constellation de références, où le présent est roi.
Tapissant tout le mur du fond de la galerie, une immense fresque de treize mètres de long accueille le visiteur et le transporte dans un autre monde, celui du quartier, du gbaki. A Abidjan, beaucoup parlent nouchi, un argot ivoirien, et presque tout le monde le comprend. Pourtant, la langue ne cesse d’évoluer, des nouveaux mots sont créés tous les jours. Il n’existe pas de dictionnaire, pas « d’académie » chargée de valider les néologismes, pas de réseau officiel de diffusion du nouveau vocabulaire. Le nouchi ne se fige jamais. Il ne cesse de s’actualiser. C’est dans l’informalité de son existence que cette langue trouve sa liberté et parvient à rester une langue profondément vivante.
A l’image du nouchi, l’univers plastique d’Aboudia est fait de mouvement perpétuel, d’inventivité et d’énergie. Aboudia invente ainsi un vocabulaire esthétique qui lui est propre et dont la force résonne avec les expériences variées des différents spectateurs.
En ne se conformant à aucun code, l’œuvre d’Aboudia s’élève au-delà des frontières pour atteindre une forme universelle. Ses peintures nous font voyager dans son monde, qui nous est étrangement familier. Dans ce monde, les ailleurs fantasmés viennent s’inscrire dans la réalité du présent, et le quatrième mur du réel ne cesse d’être détruit pour y faire entrer des rêves parallèles. L’impossible n’y a pas sa place. Comme en témoignent le fond de la fresque, fait d’un assemblage d’images, d’articles, de photographies ou de pages de livres, l’artiste s’approprie ce qu’il ne connaît pas, fait sien ce qui est autre, sans attendre d’autorisation de quiconque. Ses œuvres abritent à elles-mêmes l’étendue de son monde, son infinité, au-delà de toutes limites.
Dès son entrée dans l’exposition, le spectateur est pris dans un rythme effréné et presque hypnotique, chaque couleur venant apporter une nouvelle pulsation, chaque matière une nouvelle note au tohu bohu général. Ici du carton, là des vêtements d’enfant. D’un côté des couleurs fluorescentes et électriques, de l’autre des nuances sombres aux accents lugubres. L’une des toiles de l’exposition, Au gbaki, se distingue par la présence de vêtements d’enfants colorés fixés à la toile, comme en écho à la grande installation faite de vêtements d’enfants et de peluches présentée par Aboudia en 2016 dans son exposition personnelle Môgô Dynasty. Les coulures de peinture rappellent les longs fils de tissus de l’époque, et témoignent ainsi de la cohérence esthétique et temporelle de l’univers de l’artiste. Dans l’œuvre Au gbaki les vêtements s’animent et prennent vie. Plongés dans une atmosphère chargée et sonore, de jeunes enfants aux habits colorés jouent dans les rues, les klaxons des voitures recouvrant parfois leurs rires. Ils se baladent en groupe, élaborent leurs premières bêtises, lient des amitiés. Leur histoire est-elle joyeuse ou triste ? Assiste-t-on aux premiers moments de liberté de jeunes à l’écart du regard parental ou à des enfants livrés à eux- mêmes ? L’œuvre ne le dit pas. Mais elle dit le bruit, la chaleur, l’énergie et les jeux. Elle dit une euphorie chaotique, une vie qui déborde l’espace même de la toile.
« Nous dormirons quand nous serons morts », semblent nous murmurer les figures aux yeux écarquillés et au sourire désarticulé qui nous accueillent. L’espace d’un instant, on les verrait presque sortir de leur toile, marcher vers nous et nous inviter à rejoindre leur danse, cette célébration de la vie, effrayante et puissante à la fois. A défaut d’être de chair et de sang, les personnages des œuvres d’Aboudia incontestablement nous regardent. Des dizaines de paires d’yeux nous observent, leur sourire se fait ironique, peut-être moqueur. Que fait-on plantés là ? Y’a quel wé ?*
A l’image d’Aboudia, ses œuvres sont indociles, rebelles. Les personnages de ses toiles ne se laissent pas être fixés ni saisis. Ils s’amusent plutôt de nous étourdir de leur double contour, de se dérober toujours à nos attentes, à notre regard même. Aboudia se joue ainsi des règles de la figuration et de l’abstraction, et de celles de l’art contemporain en général. Il vient déconstruire l’espace d’exposition du white cube, et s’affirme bruyamment, avec toute sa clique, son gbonhi, dans un monde qui cherche à les tempérer. Ecoutons-les, ce sont eux, les dangôrôs* * du monde qui vient.
* Quel est ton problème ? Que me veux-tu ?
** les rois, les plus forts