La Galerie Cécile Fakhoury a le plaisir de présenter la première exposition personnelle en France de Kambui Olujimi, The Lost Rivers Dream Index, Vol. 3
Que l’on soit sceptique, fervent convaincu ou observateur distant, l’interprétation de nos rêves n’a cessé de fasciner les sociétés humaines. Aux quatre coins du monde, savoirs vernaculaires et rituels d’interprétation tentent sans relâche de percer les mystères de ces visions nocturnes – manifestations de nos désirs, de nos inconscients profonds ou signes du divin –, dans la quête d’un savoir inestimable sur le sens de nos vies et l’essence de nos êtres. D’une culture à l’autre, nos outils d’interprétations varient mais la motivation profonde de la démarche reste la même : une tentative pour comprendre qui nous sommes et comment nous existons au monde.
Kambui Olujimi nous entraîne dans les profondeurs de nos songes et prend comme point de départ les clés des rêves [Dream Index en anglais], ces ouvrages fascinants construits sous la forme de lexiques de mots dont les définitions et les renvois d’un concept à l’autre tissent un réseau de sens pour l’interprétation. Populaires, ésotériques, religieux ou objets de collection, ils existent sous toutes les formes et pour tous. Kambui Olujimi puise dans plusieurs de ces index et dans sa mémoire pour composer le sien, présenté ici dans la troisième édition du projet débuté en 2007.
Ce petit volume, destiné à être disséminé et partagé au gré des passages des visiteurs, accompagne les œuvres peintes. Kambui Olujimi, jouant sur la pluralité des symboles contenus dans les rêves – et dans les œuvres – nous invite à l’utiliser comme une grille de lecture pour construire nos récits et nos mythologies personnelles. Comme les rêves, la compréhension des œuvres nécessite la contemplation. Le ballet des couleurs flash et de la matière diluée sur le papier dans un effet de transparence onirique agit comme un premier film éblouissant ; jubilatoire. Les silhouettes des personnages flottent sur des fonds fascinants. Bank Robber + Money Stacks: un flirt avec l’esthétique hip hop des nineties, Star Walker : l’impulsion vibrante du mouvement de jambe de Surya Bonaly ; Astronaut : le vide du monde, une liberté exubérante et pétrifiante.
Puis, apparaît presque par anamorphose le détail déclencheur, celui qui toujours chez Kambui Olujimi teinte la joie la plus spontanée d’une douleur viscérale et le déchirement existentiel d’une allégresse enfantine. Depth Charts and Chastity Devices : carte topographique de L’English Channel et dispositifs (réels ou fantasmés) de chasteté. De nouveau, on regarde un peu plus intensément Astronaut: une femme enceinte flotte dans l’espace. Star Walker: le gouffre qui menace celle à qui l’on demande de tout prouver encore et encore parce qu’elle est noire. Et puis, Memorial Cake, cet objet plastique ambigu, symbole de festivité et présence menaçante par la lourdeur de sa structure et son opacité. « J’ai voulu imaginer à quoi pourraient ressembler les gâteaux d’anniversaire de ceux qui ne sont plus » nous dit l’artiste. Ceux que le système a emporté, Georges Floyd, Trayvon Martin, Breonna Taylor...
Kambui Olujimi nous révèle dans ses œuvres les mécanismes diffus de notre société et les rouages psychiques qui nous habitent. En creusant dans nos mémoires collectives, l’artiste aborde le rêve en tant qu’il est aussi une élaboration de la pensée imaginative qui transforme le réel. Masked Monuments et Monument Removalsont les rêves d’une histoire qui se réécrit et s’écrit par ceux qu’elle avait oublié. Dans ces rêves, ils prennent possession des symboles d’oppression idéologique et politique glorifiés dans l’histoire par ces statues et monuments. Fictions il y a quelques décennies, ces rêves se concrétisent lentement aujourd’hui.
The Lost Rivers Dream Index, Vol. 3 est un voyage dans la psychè contemporaine au croisement du désir et de l’inconscient, du politique et du sensible. En immersion, le spectateur est engagé dans un dialogue silencieux avec l’artiste. Kambui Olujimi tisse ainsi dans une approche holistique qui lui est propre et non sans humour, la trame d’une odyssée visuelle de nos rêves où il puise la matière d’un commentaire profond et sensible sur notre monde.
Delphine Lopez