En Nouchi, langue populaire parlée dans les rues d’Abidjan, un « brobrosseur » désigne une personne qui fait preuve de débrouillardise pour trouver de quoi vivre au quotidien. Cueilleurs un jour, pousseurs de charrette le lendemain, les Brobrosseurs sont autant de personnages et de destins singuliers auxquels Armand Boua donne forme dans ses peintures.
Progresser dans une exposition de l’artiste, c’est se plonger dans la vie contemporaine, vibrante et parfois violente des rues d’Abidjan. Des silhouettes abstraites nous accueillent. Elles nous escorterons d’une scène de vie à l’autre. Leurs visages sont sans détails, pourtant elles nous regardent intensément et nous font face avec la placidité de ceux qui ont tout vu et tout vécu. Certains d’entre eux ne sont pourtant que de jeunes gens, tout juste tirés d’une enfance passée dans la rue où Armand Boua les a rencontré et où ils ont l’habitude de passer du temps ensemble. Le temps, fil conducteur de la peinture mais aussi l’attente des personnages, volontaire ou non, qui semble mettre en exergue par effet inverse la frénésie du monde urbain contemporain. «Tout près n’est pas loin» nous dit joliment un proverbe ivoirien, car pour qui sait attendre se réalisera peut-être la promesse de jours meilleurs.
Sous la main de l’artiste, la rue devient alors un champ de représentation épique. La composition et le cadrage serré des toiles d’Armand Boua leur donnent une dimension photographique. Saisies sur le vif, les silhouettes peintes en noir sont entourées de halos colorés comme de puissantes auras qu’un passage en négatif aurait révélées, créant une atmosphère vibrante et floue de laquelle émerge des visions aux frontières de l’hallucination.
La fulgurance des peintures d’Armand Boua ne dit pourtant rien du long travail de création plastique. Chacune d’elle est composée de plusieurs couches de matière - journaux, papiers, cartons - que l’artiste assemble, colle et peint avant de les délaver et de les brosser dans un geste cathartique. Au coeur de ces toiles devenues palimpsestes se lisent alors des brides d’une urbanité contemporaine placée sous nos yeux par l’urgence d’un geste esthétique qui n’est pas sans rappeler la démarche des Affichistes.
Brobrosseurs est une déambulation dans les rues populaires d’Abidjan. Il s’y succède une série de rencontres, moments clés de la vie de l’artiste qu’il nous invite à vivre à notre tour par le prisme de sa peinture.
Chacune de ces scènes de vie, défilant à leur rythme sous nos yeux et nos consciences, acquiert alors la vivacité de souvenirs personnels: les toiles d’Armand Boua sont le lieu de récits multiples contemporains, urbains et toujours emprunts de la poésie du quotidien.