La galerie Cécile Fakhoury présente sa troisième exposition personnelle de l’artiste ivoirien Aboudia. Môgô Dynasty, le portrait d’une société en mouvement, réunit ses derniers travaux réalisés à Abidjan et une installation monumentale in situ.
Le travail d’Aboudia représente la vitalité, l’énergie sans fard d’une jeunesse qui s’en sort, qui se débrouille et esquisse un sourire à faire peur parfois, mais un sourire plein et qui exalte toute son expérience. En marge, c’est une génération qui s’étire et prend une forme nouvelle, se restructure et dévoile une force plus claire. En chaque œuvre grouille une horde de vies, un courant d’air et de bruit, des silhouettes cherchant leur place dans des espaces inlassablement trop étroits.
Dans Môgô Dynasty, les peintures d’Aboudia se rétrécissent. Les figures étouffent dans le cadre, elles disent ainsi dans un vacarme embué toute leur force prête à exploser. Le sol semble s’être dérobé, la perspective se limiter à la couleur, aux débords et aux contours de la toile. Les rehauts des personnages accumulés signifient un brulant désir d’affirmation du soi dans un bouillonnement commun. Sans marqueur de réalisme, Aboudia décline les traits caractéristiques de ceux avec qui il partage le temps et l’espace. Le hors champ tient sa place dans cette chronique ivoirienne. Ces tableaux-murs sont des extraits, des essences catalysées des morceaux de la rue.
L’installation in situ La cour revêt un pan de mur composé d’une multitude de figures vides confectionnées avec des tissus agencés, des habits usés. Les fripes d’enfants sont mises en scène comme si elles étaient encore habitées. La tapisserie se fait paysage, panorama d’un atelier à ciel ouvert de Fanicos. Ces lessiveurs à moindre coût emportent des ballots vers les cours d’eau et les sèchent au petit soleil, au petit vent de la ville, à vue des passants et des passagers des transports hurlants. On imagine face à cette installation dans la galerie, les champs de vêtements que l’on peut voir sur les grands axes d’Abidjan. La vaste fresque est ponctuée de coulures de laine, par touches, suggérant des traces de peinture, un écho au langage de l’œuvre d’Aboudia.
Avec ses Môgôs, La famille du Roi, La mort du Roi et Le môgô muselé, Aboudia raconte l’errance de personnages fantômes laissant leur empreinte à chacunes de leurs apparitions. Noctambules masqués, ses protagonistes maquillés et sapés sortent dans un joyeux et inquiétant capharnaüm. Il y a du mort-vivant, du zombie plus éveillé que jamais qui s’éclaire dans ses tableaux. Un thriller sortit d’Afrique de l’ouest côtière, entre le béton et le sable, Aboudia crée un bal poussière fantastique.
D’une œuvre à l’autre, le public est projeté dans le flux et le brouhaha du maquis. Les toiles sont des arrêts sur image, un focus sur un groupe de môgôs qui s’apprêtent à s’entretenir entre eux, en cercle de partage des expériences où chacun endosse un statut social : stature du dur gars ou du financier accompli, du petit garagiste au fonctionnaire, de l’apprenti au chauffeur de berline. On ressent dans les toiles d’Aboudia la présence des Ziguéhis d’hier jusqu‘à la naissance et l’affirmation du Nouchi. Des frottements de mots, des sons remixés et des rêves d’ailleurs brandis en signes identitaires, résistants aux épreuves du quotidien précaire.
Hors contexte on peut admirer le trait vif et acéré, la touche rapide et volontaire, le noir profond insistant sur le signe répétitif et continu de l’infini. Sa ligne contiendra sans cesse l’effervescence d’un territoire en éclosion, objet de palabres et de revendications. Abidjan est en pleine ascension, ville des transformations, sortie de crise, devenue attractive, cité des possibles. Aboudia guette, il observe et s’immerge dans sa métropole, il fait corps avec son mouvement, ses changements. Toile après toile il décrit dans le vif ce qui résiste aux codes lisses, à la pâleur d’une société uniformisée.