La Galerie Cécile Fakhoury a le plaisir de vous présenter Stasis, une exposition personnelle de Sadikou Oukpedjo.
Après Anima et Silentium deux expositions majeures dans la carrière de Sadikou Oukpedjo, l’artiste poursuit ici avec Stasis un cycle de réflexions et d’expérimentations plastiques sur la place de l’homme dans le monde. Le regard de l’artiste sur nos sociétés est sans appel : l’être humain s’est perdu dans une course insensée aux vanités et son échelle de valeurs n’a rien de plus remarquable que la force de sa violence.
Dans la cosmogonie de Sadikou Oukpedjo, il fut autrefois un premier temps mythologique dont le pouvoir des récits, créateurs de sens collectifs s’est éteint au fur et à mesure que l’homme s’est détaché de son environnement, tenant loin de sa raison les impératifs de son âme et les nécessités de son corps. S’élevant de force, et par la force au-dessus de la nature qu’il prétend soumettre à son bon droit, au-dessus des animaux au nom de son progrès et de la supériorité supposé de son esprit, l’humain s’est enivré d’orgueil et de démesure.
Anima : souffle, respiration. Âme, esprit, commencement. À travers les âges et les aires, les mythes ont porté des formes de la conscience humaine. Rites, religions et croyances étaient imaginés, racontés, transmiset réécrits pour fédérer le groupe social autour d’une vision commune, porteuse de paix et de progrès. L’homme face à la profondeur incertaine du monde n’a de cesse avec ces récits de se constituer des outils contre l’abîme, contre l’insurmontable idée de n’être que poussière subtile dans l’immensité du cosmos, contre la rage viscérale de contempler son imperfection et la dualité de son être. Anima : souffle, respiration. Sadikou Oukpedjo incarne dans son art ce mouvement de vie. Sa technique est protéiforme, évolutive – gravure, peinture, dessin, sculpture. L’artiste expérimente avec la matière, souvent des éléments bruts au départ comme le charbon, la pierre ou les pigments. Dans cette matière, il sait reconnaître l’allié et le contradicteur : « tous ces éléments qui rentrent en pratique dans ma phase créative me parlent et me rappellent que je ne suis ni supérieur ni inférieur à eux, puisqu’il leur arrive de me résister et de m’amener à la négociation » déclare-t-il. Trouver l’inspiration dans l’harmonie des choses. Le mélange, l’hybridité comme chemin d’élévation.
Silentium : absence de bruit. Il règne toujours dans les œuvres de Sadikou Oukpedjo un silence de plomb qu’impose la grandeur de ses figures. Les toiles majestueuses vous surplombent à mesure que vous pénétrez dans l’espace. Les figures sont puissantes, les corps musclés sont ceux d’athlètes mythologiques, les têtes à la peau lisse laissent apparaître des crânes comme des boîtes de Pandore scellées. Et bien sûr, les animaux du mélange sont des animaux de la force, littérale et symbolique, chevaux, bœufs, gorilles, taureaux. La force nous fait taire, nous nous taisons devant tant de force. Alors, nous écoutons dans le silence la violence de ce qui ne peut plus se raconter faute d’avoir été entièrement exploité, consommé et usurpé. C’est le silence d’un état de mutation extrême : les formes ont changé, il nous faut regarder longuement pour savoir où l’un s’arrête et où commence la forme de l’autre : le centaure. Désormais, l’être est hybride, produit de deux entités qui s’affrontent et qui ne pourront jamais réellement cohabiter dans un seul et même contenant. Alors, la peinture craquelle, elle se boursouffle, à certains endroits se plie, ailleurs se détend. La technique de Sadikou Oukpedjo est mimétique de son sujet : hybride de matière et en mutation.
Stasis : conflit intérieur, crise politique et morale. Inertie. Il faut saisir dans la peinture de Sadikou Oukpedjo l’écho d’une pensée nietzschéenne qui ne se nomme pas. Chez le philosophe comme chez l’artiste, l’homme est un « fabricateur de Dieux ». Sa volonté de croyance est d’une telle puissance qu’elle le pousse toujours plus loin dans un geste nihiliste qui tend à privilégier ce qui n’est pas au détriment de ce qui est ; qui le pousse à se battre pour l’amour hypothétique d’un au-dessus, d’un au-delà plutôt que pour celui de son voisin. « Il y a dans ce monde plus d’idoles que de réalités » disait Nietzsche dans la préface du Crépuscule des Idoles.
Ces idoles – argent, consommation, religion – Sadikou Oukpedjo les cloue au pilori de la peinture, en montrant ainsi leur puissance et leur horreur. Ces entités portaient un système de valeurs pour l’homme que certains hommes eux-mêmes ont détourné. «L’humanité a besoin de créer de nouveau contes pour aboutir à des dieux plus doux. N’est-il pas paradoxal qu’un Dieu puisse baser son règne sur la peur et l’exploitation ?» nous questionne l’artiste. Dépasser la séduction, dépasser l’effroi, sortir de l’inertie et faire de l’espace pictural un lieu d’invention de nouvelles mythologies, telle est l’entreprise poétique de Sadikou Oukpedjo.