Son parcours atypique, son goût pour l’art, l’audace de ses partis pris font de Paul Sika un artiste unique de la scène photographique. C’est ce photographe que la Galerie Cécile Fakhoury expose du 1er décembre 2012 au 19 janvier 2013.
L’exposition propose « L’Appel de Lilian », la deuxième et nouvelle série de l’œuvre du photographe ivoirien. Paul Sika s’affirme photographe mais il n’en demeure pas moins scénariste, graphiste, plasticien et metteur en scène. L’approche photographique qu’il a choisie est en effet la mise en scène. Elle permet de mettre en valeur cinématographique des personnes et des objets, de créer une scène que l’on ne voit pas dans la vie réelle, dans laquelle, on emploie des accessoires et des moyens de maquillage ; comme dans la peinture classique.
Proche du simulacre, cette approche consiste à construire une image plutôt qu’à la saisir. Car s’il est une voie que n’emprunte jamais Paul Sika, c’est celle du reportage.
«L’instant décisif » longuement théorisé par Henri Cartier-Bresson, ou la notion de « pêcheur d’image » de Robert Doisneau ne sont pas son registre. Il préfère aller plus loin que la réalité en lui donnant une nouvelle perception, en la modifiant, en la rendant parfois même grotesque ; jouant avec les liens qu’il existe entre fiction et réalité, jouant avec le réel, ses codes et ses clichés. Sika qualifie son travail de Photomaking, et il n’y a pas meilleur mot pour définir avec autant d’à-propos sa démarche. Il fait de la photo comme on fait des films. En anglais, un Réalisateur est un Filmmaker et un Photographe est un Photographer.
Si Paul Sika s’affirme il se définit comme un Photomaker, à la croisée du Filmmaker et du Photographer. L’acte photographique en lui-même n’est qu’une étape de son processus de construction picturale, il n’en est ni l’essentiel, encore moins la conclusion. En effet, son œuvre photographique consiste d’abord en l’écriture d’une histoire, d’un scenario sous forme de script minutieusement détaillé. Le casting et les repérages suivent : choix des acteurs / mannequins, l’agencement des accessoires, la direction des éclairages, la disposition spatiale des acteurs, leur posture, leur taille, leur volume, leurs costumes etc ; s’ensuivent alors les répétitions, puis les prises de vue. La post production et le tirage mettent fin à ce processus.
L’engagement artistique de la création d’image s’opère à toutes les étapes. Sa culture artistique, sa maîtrise du vocabulaire plastique et surtout son sens élevé
de l’imagination se déploient en filigrane dans son œuvre, allant de la culture populaire ivoirienne à la peinture contemporaine via des scènes mythologiques. Scènes mythologiques. Tout est dit. Les photos et les personnages de Paul Sika puisent leur source d’une mythologie imaginée par le photographe; celle d’un monde où certains habitants, appelés les « Yelenistes », sont en quête perpétuelle de «Paisley». Ces personnages, qui pourraient avoir leur répondant dans les mythologies grecques ou romaines, ont pour nom Joue Rose, Papillon, Mami Momi, Mousse Man, Dandelia, Marmite Mousso, Fanico Sow, Alphabet, Mister Tout-Mignon, Lilian etc.
Marmite Mousso est une passionnée de cuisine et a la capacité de transformer certaines pierres sur son passage en pierres précieuses. Alphabet rêve d’épouser Fanico Sow, la fille la plus courtisée de sa tribu. Mister Tout-Mignon, Yeleniste au goût vestimentaire excentrique, rencontre Papillon avec qui il partage la préoccupation de l’avenir des enfants. Lilian passionné de musique, est le seul personnage ayant atteint Paisley. Il est donc un Yeleniste royal qui guide d’autres êtres vers Paisley. Chaque photo est donc un arrêt sur un pan de l’histoire du personnage. Ici, Mousse Man s’accroche à Marmite Mousso. Là, Mister Tout-Mignon, mannequin, le temps d’un flash, prend la pose pour le photographe. Là on voit Alphabet jamais loin de Fanico Sow. Là, encore, c’est l’Ensouffletoutoute de Lilian qui est l’objet de curiosité. Au-delà des morceaux d’histoires que raconte chaque photo, c’est la question de l’artifice et des jeux de langage qui est abordée dans l’œuvre de Sika.
Ces photos réalisées à Abidjan entre décembre 2011 et octobre 2012 offrent l’occasion aux visiteurs de mener une réflexion personnelle sur la circulation des formes et des thèmes dans l’œuvre du photographe. Paul Sika produit peu d’images et tire ses épreuves en nombre limité. S’il a opté pour le transparent comme support de prédilection, c’est parce qu’il privilégie la boite à lumière pour montrer ses créations ; ces mises en scène extra-ordinaires pour des photos encore moins ordinaires.