Métamorphoses ondulatoires: Serigne Ibrahima Dieye

3 Décembre 2021 - 26 Février 2022 DAKAR

La Galerie Cécile Fakhoury a le plaisir de présenter Métamorphoses ondulatoires, une exposition personnelle de l’artiste sénégalais Serigne Ibrahima Dieye.

 

À taille humaine, des carrés au fond noir mat forment de sombres brèches dans l’espace de la galerie. Des personnages, mi-humains, mi-animaux, mi-monstres se donnent en spectacle dans une parodie d’action médiatique interprétée avec une conviction déconcertante. Scène d’interviews, joutes oratoires, parades d’éloquence, défilés de mots/maux ; l’exposition résonne d’un brouhaha assourdissant aux tonalités de fake news

 

Il paraitrait que la peinture est « comme une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire[1] ». Reculer un peu, se placer au point focal de la perspective et agir en observateur averti de la marche du monde. Tel est le programme de peinture de Serigne Ibrahima Dieye. Pour l’artiste, la toile est un filtre révélateur, un élixir visuel de vérité. Comme l’écran de télévision dont la figure parcourt l’exposition, elle capte les ondes du monde et les retranscrit dans leur matérialité. Métamorphoses ondulatoires. Le spectacle qui en découle est d’autant plus effrayant qu’il est jubilatoire : la speakerine plantureuse à tête de mort a revêtu ses plus beaux atours pour vous déverser en direct sa lie de mensonges. Les accessoires du parfait commentateur ressemblent à des jouets made in China d’une panoplie d’enfant. Au fond, derrière, au loin, des crânes, des ombres, des monstres.  

 

Dans cette nouvelle série d’œuvres, Serigne Ibrahima Dieye recourt de nouveau à la fable et explore les pouvoirs du grotesque pour dénoncer. Le rire, grinçant et cynique devient sous le pinceau de l’artiste un outil désarmant pour donner à réfléchir à la fabrique d’une société obsédée par la communication et ivre d’apparences. Mais ici, le rire exige aussi un temps d’arrêt, reprendre son souffle entre chaque toile, d’une fenêtre à l’autre, pour comprendre : ne rit-on pas là de nous-mêmes, nous spectateurs d’un spectacle dans lequel notre rôle est justement d’être spectateurs ? Derrière les scènes effroyablement drôles, le portrait est sans concession : notre monde est une vaste farce médiatique qui agit comme une machine à fabriquer l’opinion et la bien-pensance tout en s’évertuant à remplacer la communication et l’information par des apparences trompeuses. Au centre de l’exposition, l’installation Glitch (2021) nous hypnotise de ses écrans à l’image trouble. Sans le son, diffusé dans la salle suivante, la portée des images est différente et la perception difficile que nous en avons-nous fait sortir de notre torpeur de consommateur pour nous lancer dans la quête désespérée d’un sens. 

 

Il y a finalement quelque chose de baroque dans les œuvres de Serigne Ibrahima Dieye ; la cohabitation de forces contradictoires – la violence et le rire – nous renvoie à la vanité de nos désirs et aux valeurs fallacieuses que certains tentent d’ériger comme les valeurs de nos sociétés contemporaines. Le peintre alors, par la puissance esthétique de la peinture, devient ici notre objecteur de conscience. 



[1]Léon Battista Alberti, De pictura, 1635?