La Galerie Cécile Fakhoury - Paris a le plaisir de présenter Mody : celui qui vient des deux mondes, seconde exposition personnelle de l’artiste Elladj Lincy Deloumeaux.
Au cours de ses quatre mois de résidence à Grand Bassam en Côte d’Ivoire, le peintre a fait de l’idée de déterritorialisation comme métamorphose globale de l’être le cœur battant de ses dernières recherches plastiques.
Sur de larges papiers délicats, Elladj dessine ses motifs et son modèle, Mody, dont le nom imagé signifie en Wolof «celui qui vient des deux mondes ». Assigné à la dualité, il est une figure romantique, l’Homme qui a laissé de lui-même dans plusieurs territoires et qui, circulant entre ces espaces, s’en fait l’interstice. Mody, arraché à son lieu originel par la force des choses et des autres, est celui qui est parti et qui se trouvera modifié, marqué, krazé (écraséen créole guadeloupéen) par cette déchirure.
Se déployant dans une gamme chromatique plus resserrée, les œuvres présentées sont un approfondissement des recherches développées par l’artiste pour sa première exposition monographique "Un est multiple" à la galerie Cécile Fakhoury - Abidjan en 2020. Par le choix de l’objet focal dentelle, c’est la réflexion autour de l’héritage guadeloupéen de l’artiste qui continue de se filer. D’une beauté désuète, les ouvrages de dentelles sont omniprésents dans les foyers antillais. Ils se font bien souvent chemins et centres de tables et ornent les différentes réunions, repas et cérémonies familiales. Matrimoine précieux transmis, continué et préservé de génération en génération, ils sont le fruit d’un travail si long qu’il n’est en réalité que purement méditatif. La symbolique de cet objet dentelle se densifie avec sa rencontre avec le Continent africain et l’histoire personnelle de Mody qui, de la même façon, hérite d’images de ses mères parées d’ouvrages de broderie sénégalaise.
Aussi, le textile ouvragé se fait reliquat de souvenirs personnels et partagés. Il est à la fois symbole d’un drap matriciel - enveloppe de l’union procréative, du baptême d’eau - et du linceul mortuaire. Malgré ces connotations positives de protection rituelle et sacramentaire, on ne peut s’empêcher de se demander si faire corps avec ce tissu est réellement pour le sujet une expérience consolatrice. La dentelle légère l’étouffe-t-il ? Est-il pris au filet ? Par quel rétiaire ? Selon l'artiste, "Mody, aux prises avec la pluralité de son identité, oscille entre l’envie et le rejet de faire tomber le voile sur l’orage de son intériorité. Draper est une action duale qui dans un même mouvement le recouvre, le dissimule et le dévoile, le rend visible en épousant sa forme."
Plastiquement, le poids et la texture des drapés sont rendus par le généreux ajout de matière et de sable sur plusieurs des toiles. L’encadrement, seyant aux formes allongées des tableaux, produit, lui, l’effet d’œuvres-tronc, racines de baobab ou de palétuvier. Elles structurent l’espace d’exposition à la manière de colonnes - de telle sorte que cette scénographie ascensionnelle achève la constitution par Elladj Lincy Deloumeaux d’un nouvel espace-temps transformatif.