Il marche toujours, François-Xavier Gbré, celui qui mêle en lui l’essence de deux pays mêlés par une histoire sédimentée dans des couches éparses sur le territoire, sur la ville, sur les humains qui l’habitent. Aux souvenirs brouillés, aux lendemains contrariés, il propose des fragments pour recoudre une mémoire nzassa, une mémoire en patchwork. À l’oubli sempiternel, il oppose le regard cru souvent, cruel parfois, sur des stigmates que l’on veut reléguer dans les donjons d’une modernité qui se fabrique dans la démarche tortueuse du varan. À tout un pays qui avance en effaçant ses traces avec sa queue, François-Xavier Gbré révèle ses propres empreintes, la longue trainée sinueuse d’un développement rempli d’espoir, de vanité et de désillusions.
Une côte s’aborde par la mer. Et celle-là, avec son chapeau de nuages menaçants, elle porte en son sein ce que les marins de La Rochelle nommaient déjà le « puy du diable ». Le photographe poitevin ne peut l’ignorer quand il pointe le large de Grand-Bassam. Se glisser dans le regard d’une partie de ses ancêtres avant de se tourner vers les égards de l’autre partie... Le ton est donné dès l’ouverture de cette nouvelle exposition, galerie Cécile Fakhoury, avenue Matignon.
« Dis-moi comment tu habites, je te dirai qui t’habite », telle semble être la vivace négociation visuelle à laquelle invite le « marcheur des Côte d’Ivoire ». Il y a celle de l’âge de la colonisation figée dans la décrépitude envahie de racines sur un mur de ce qui reste de l’Hotel de France, à Grand-Bassam, première capitale ; il y a celle de l’âge des indépendances en lambeaux étalées sur le mur du PDCI à Yamoussoukro, dernière capitale ; il y a celle de l’âge du cacao triomphant avec ses architectures des ailleurs (France, Italie, Israël...), ses pyramides qui marchent sur la tête, ses lignes brisées, ses asymétries forcenées, ses priapismes de béton.. celle de la Manhattan Ébrié, vitrine surjouée et surchargée pour presbytes et qui ne sait plus être vue que de loin parce qu’incapable de résister à l’examen rapproché auquel la soumet le photographe ; il y a celle d’aujourd’hui, chantier permanent de grands travaux entremêlés entre le minéral des humains et celui de la nature.
Ainsi, dans son lent mouvement à travers l’espace, François-Xavier Gbré marche-t-il aussi dans le temps. Un temps où, comme dans le cercle du palabre ancien, il convoque « ceux d’avant », pères et pairs du passé. Le studio Photivoire et ceux qu’on peut désormais nommer la « bande à Normand » (Louis Normand, Jean Carval, Paul Kodjo, Schneider, etc.), eux aussi ont marché, eux aussi se sont arrêtés pour montrer la mue du pays. Les travaux de François-Xavier Gbré répondent aux leurs dans un jeu d’écho qui rappelle que l’histoire, sans être forcément un perpétuel recommencement, est prise de hoquets confondants. La geste est collective, l’oeil d’hier est trempé dans le même bain de photons qu’aujourd’hui.
Il marche toujours, François-Xavier Gbré, sans attendre de réponse de tous les poncifs, de toutes les pythies d’un développement contreplaqué sur toutes les façades. Car comme dit si pertinemment Guillaume Koffi, architecte, à propos d’Abidjan : "cette ville se développe plus vite qu’elle n'est pensée"
Texte: Gauz'