La Galerie Cécile Fakhoury a le plaisir de présenter Diallo Diery, l’exposition personnelle de la photographe Eva Diallo à Dakar au Sénégal.
Le travail photographique d’Eva Diallo est ancré dans l’histoire d’un territoire à partir duquel il rayonne : le nord du Sénégal et la région du Fouta dont est originaire la famille de l’artiste. La région est traversée par le fleuve Sénégal et caractérisée par des paysages semi- désertiques. C’est dans le Dieri ou Diery, zone de culture sèche plus éloignée du fleuve et aire pastorale pour les bergers peuhls et leurs troupeaux que s’est installée la famille de l’artiste depuis plusieurs générations. L’expression « Diallo Diery » qui donne son titre à l’exposition est devenue l’appellation commune des populations peuhls de la région dont l’existence se déploie à la croisée de la tradition et de la modernité.
Les photographies de la série « Diallo Diery » prises par Eva Diallo entre 2018 et aujourd’hui constituent un ensemble au long court, un work in progress qui s’étoffe au fil de la vie et des visites de l’artiste. Plongée au cœur de sa famille, Eva Diallo capture des moments entre-deux, ces latences visuelles où quelque chose d’indicible se joue dans la course du quotidien. Elle photographie ses proches qu’elle saisit dans des instants ouverts auxquels s’accrochent irrésistiblement les nuances d’un regard mélancolique : préparation d’un repas, jeu d’enfant improvisé, rituel du thé ; une collection de fragments fugaces mille fois répétés et toujours regrettés. Souvent, les personnages sont délibérément isolés dans leur cadre - éléments centraux d’une composition épurée. Tout, pourtant, suggère l’essence d’une vie en communauté resserrée.
Dans le travail d’Eva Diallo, la compréhension des choses se fait en douceur, peu à peu, telle une langue visuelle qui ne se perfectionne qu’à force d’être pratiquée. D’une œuvre à l’autre, un réseau de sens se trame à l’arrière-plan des images. L’artiste les construit d’ailleurs de sorte qu’elles obligent à la pause. Les compositions abstraites (le couché de soleil, le dos maigre du mouton sur le sable) ne sont pas si facilement lisibles et doivent être déchiffrées. Les gros plans (le kiwi, le linge brodé) exigent un recul qui n’est pas seulement littéral : l’œil comme l’esprit doivent faire un pas de côté pour comprendre la profondeur de l’image et ne pas être tenté d’y projeter leurs lectures préconçues.
Dans le chapitre V de sa série Bolol, il est aussi question pour Eva Diallo de mise à distance. L’artiste débute cette série en 2019 avec en tête l’idée de retracer les routes migratoires empruntées par deux de ses cousins en 2010 et 2016 du Sénégal vers l’Italie et la France. Bolol est conçue en chapitre, comme un journal de bord visuel. A la question complexe de comment représenter la migration clandestine sans tomber dans ses poncifs, voyeurisme, pathos ou moralisation, Eva Diallo choisit d’évoluer à la lisière. La narration du tout passe par une esthétique de l’anecdote et du fragment. Le détail que capture l’artiste au gré de ses voyages est fondamental dans la compréhension sensible des enjeux migratoires. Ils évitent la confrontation directe au sujet tout en évoquant avec force la complexité de l’expérience vécue par ceux qui décident de partir.
Les sept photographies de paysages aériens qui constituent ce dernier chapitre correspondent aux sept jours de la semaine pendant lesquels l’un des cousins de l’artiste s’est perdu dans le massif de l’Aïre au Niger, à l’entrée du désert de Libye. Getting Lost est le premier chapitre de Bolol sans aucune figure humaine. Il questionne la notion de distance et sa perception pour le regardeur. La réintroduction de paysages rappelant les cartes topographiques répond au besoin de figurer l’immensité du voyage et son incongruité géographique1. Le chemin entrepris est si colossal, tant spatialement qu’humainement que l’esprit peine à se le représenter. En survolant l’immensité de ces pays, Eva Diallo nous reconnecte avec la réalité physique de cette migration et indirectement avec sa réalité sensible aussi : que peut-on éprouver lorsque parti, motivé par l’espoir d’une vie meilleure, on se retrouve sept jours durant perdu dans le désert ?
Diallo Diery et Bolol : chapitre V nous confronte aux enjeux d’une narration visuelle à la croisée de l’art et du photojournalisme. Les images d’Eva Diallo sont des images sensibles qui demandent le temps d’être décryptées et appréhendées dans la complexité de leur structure et de leur résonance. Elle nous appellent à transfigurer le trivial en un réseau riche de sens à la croisée de l’intime, de l’histoire et du contemporain.
_
1. Le voyage débute au Sénégal et continue respectivement au Mali, Burkina Faso, au Niger puis en Libye avant de rejoindre les côtes de l’Italie.