La galerie Cécile Fakhoury présente pour la première fois à Abidjan une exposition consacrée à l’artiste algérienne Dalila Dalléas Bouzar. in her room réunit différentes séries de peintures et de dessins interrogeant son lien à la mémoire intime et collective à travers le portrait, l’architecture et la cartographie. En résonance avec l’histoire largement traduite, et celle éprouvée par les individus y prenant une part active, ces œuvres créent des contours nouveaux qui placent le souvenir dans un principe de vitalité. Elle s’empare de documents, d’images réalistes et d’archives photographiques qu’elle réinterprète en peinture.
La série princesse est inspirée des photographies de Marc Garanger, prises durant la guerre d’Algérie dans des camps de regroupement, et commandées pour la création de cartes d’identité permettant à l’armée française de contrôler les mouvements de population. Les femmes ont alors été contraintes de baisser leur voile devant l’objectif. C’est de ce témoignage de la guerre d’indépendance que Dalila Dalléas Bouzar se saisit; ces clichés parlent des femmes de son pays auxquelles elle s’identifie. En se réappropriant ces images, elle montre la dignité de ces femmes malgré la violence infligée. Les voir parées d’or, magnifiées et singulières, fait surgir le sentiment de se trouver face à des icônes qui traversent le temps.
Taboo est une série où l’artiste satisfait son obsession pour le rose, le rose de la peau, le rose de la chair. « Depuis que j’ai commencé la peinture, je peins des autoportraits, comme s’il s’agissait d’une déclaration ou pour me convaincre que j’existe. » Dalila Dalléas Bouzar nous rappelle la part d’adoration poussée à son paroxysme: se manger soi-même. Comme une ode à l’individualisme et à l’égocentrisme anthropophage ou comme un retour aux sens chamaniques revenus des franges oubliées du monde.
Lumières diaphanes, les transparences lient les parcelles du corps, elles font naître la figure et les marques de son existence. La part d’invisible est présente dans ses recherches formelles – fragments de rêverie et empreintes du vaste monde de l’enfance. À travers la représentation de son fils dans la série Soléman, elle lui fait revêtir des costumes, le transforme, explore la parure. Elle rattache l’invention à l’invocation magique, la parenthèse aux possibles de cet âge. À même le corps, la tenue d’apparat est cousue, scellée ; l’instant de jeux devient éternité. Les états d’être s’assemblent pour former une image au carrefour des récits surnaturels et de la description du réel.
Si Dalila Dalléas Bouzar soulève la question de l’identité, elle la laisse se dire par la voix de la chair, de la trace à même la peau. En reliefs délicats, dans le sourcillement des traits du pinceau et de la graphie, dans les vibrations de sa peinture, son geste assuré est parfois interrompu. L’image révèle alors sa fragilité, la figure tient son mouvement en équilibre. Avec retenue, chaque personnage porte en suspens sur son visage les expressions qui s’inscrivent au passage du temps et de son historicité. Le noir en contraste se fait matière d’où jaillit la lumière, dans une esthétique classique réinventée au fil des émotions restituées. Les vides laissés, les traits inachevés par endroit font planer une mélancolie et l’envie d’y reconstruire une part de soi, d’écouter l’écho qu’ils diffusent. Les gouffres profonds de noirs placent le sujet dans une boîte, un écrin fait de soie et de velours. Les mystères qui s’immiscent transfigurent l’intensité du monde caché, du cosmos, du mythe.
Dans la série de dessins Algérie Année 0, ou quand commence la mémoire, Dalila Dalléas Bouzar revient sur l’histoire de son pays. D’après des images d’archives documentaires de la guerre d’indépendance et de la guerre civile algériennes, elle développe une réflexion sur l’histoire de la violence.
Topographie des Terrors est une série de dessins inspirée par le musée berlinois qui relate la montée du nazisme. Elle interroge la notion de lieu, d’espace, une chambre par exemple, comme potentiel outil de la terreur. L’intérieur est lié à l’intimité et au réconfort. Les chambres d’hôtel, plus impersonnelles et fonctionnelles, sont un laboratoire de toutes les projections. Le mouvement de bascule du récit correspond ici au niveau d’intrigue, entre ténèbres et passions, repos et horreur.
À l’occasion de l’exposition in her room, Dalila Dalléas Bouzar réalise une performance qui fait l’objet d’une installation vidéo. Inner Past parle de la disparition, d’une révolution intérieure. L’artiste met en élévation son travail de dessin: La maison. Comme un premier dessin, la boîte contient l’environnement familial, l’habitacle des souvenirs où se jouent les scènes du quotidien de la jeunesse. La Cabane, structure précaire, éphémère, accueille les archives personnelles de l’artiste, ses carnets intimes. Dans un jeu de rôle, elle dispose, subtilise, dissout la matière pour en conserver indéfiniment l’empreinte en mémoire. L’artiste se fait tour à tour victime et coupable de la disparition des traces de son passé.
Les séries de portraits et de lieux peints par Dalila Dalléas Bouzar esquissent l’idée de la rencontre, de croisements et de trajectoires ramifiées. in her room est le mouvement vers l’intérieur, l’acte qui sonde et prend le temps de comprendre pour faire sens commun.