Hosties noires : Roméo Mivekannin

2 Avril - 5 Juin 2021 DAKAR

Hosties noires. Derrière l’énigmatique expression, un titre emprunté au recueil de poèmes éponyme écrit par Léopold Sédar Senghor en 1948, la nouvelle exposition personnelle de Roméo Mivekannin se déploie comme un chant choral de voix étranges et fascinantes.

 

Pendant la Première Guerre mondiale, des soldats noirs de la force coloniale française en Afrique, désignés sous le terme de tirailleurs sénégalais ont été mobilisés dans l’effort de guerre. En réalité, ce contingent était composé de soldats maliens, sénégalais, burkinabés et d’Afrique française équatoriale, Tchad et Gabon. Certains de ces soldats, particulièrement ceux postés en Afrique du Nord, étaient autorisés à s’établir avec femmes et enfants, non sans provoquer certaines tensions chez leurs camarades français, stationnés eux loin de leurs familles. 

 

C’est dans ce contexte qu’apparurent les images qui inspirent Roméo Mivekannin pour les peintures d’Hosties noires. L’artiste plonge dans les archétypes de l’imagerie coloniale et s’intéresse notamment aux cartes postales que les soldats français envoyaient à leur famille en métropole et qui représentaient des femmes de tirailleurs dans les tâches de la vie quotidienne. Entre fantasme d’exotisme, idéologie coloniale et fascination pour l’Autre, ces images témoignent du rapport ambigu entre la métropole et ses colonies.

 

Peignant sur un assemblage de draps passés à l’épreuve de bains rituels qui leurs donnent leur teinte si particulière, Roméo Mivekannin reproduit dans un acte de réappropriation les images de ces femmes noires devenues objet-image sous l’oeil mécanique de l’appareil photo colonial. L’espace de la peinture devient alors à la fois un lieu de dialogue et de confrontation des imaginaires. Chaque toile comme un voile est d’ombre et de lumière. L’autoportrait du peintre nous toise d’une oeuvre à l’autre et nous questionne sur notre lecture: que comprenons- nous de ces représentations d’un autre siècle? Comment résonnent- elles aujourd’hui à la lumière du contemporain?

 

Dans la seconde salle, pied-de-nez anachronique, la lumière chirurgicale d’un néon donne à lire la forme enchanteresse d’une lettre écrite par un collectionneur à l’artiste. Une histoire de correspondance ambiguë, chargée de désir et d’appropriation, de fascination et de répulsion pour cette forme noire d’altérité. De la même manière, les lettres lues de la pièce Si tu en désires, je t’en enverrai (2021) résonnent de mots lourds d’idéologie et de réalité primaire de la vie sur le front.

 

Ailleurs, dans un clair obscur travaillé, l’installation suspendue Mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort (2021) rassemble les visages de tirailleurs sénégalais peints sur des journaux. Les années 1944-1945, en pleine guerre, apparaissent cette fois dans les gros titres. En fond sonore, les vers slamés d’Hosties noires de Senghor soldat lui- même, poète et politique. Les vers, isolés de leur ensemble font claquer leur charge signifiante, un flot hypnotisant dans la pénombre, un mémorial à ceux, « morts pour la France », dont peu connaissent le nom.

 

Poursuivant sa quête de sens mais aussi sa quête esthétique, Romeo Mivekannin donne une place privilégiée à l’archive comme terreau de nouveaux imaginaires. L’artiste nous pousse avec autant de subtilité que de puissance plastique à questionner la construction des représentations des Noirs à travers l’histoire.