Effractions: Roméo Mivekannin - ABIDJAN

24 Septembre 2022 - 7 Janvier 2023 ABIDJAN

Pour sa seconde exposition personnelle à Abidjan, intitulée "Effractions", Roméo Mivekannin nous propose de rencontrer la pluralité et la richesse de son univers artistique, comme un instantané de son travail, pluridisciplinaire et ambitieux, jouant avec les matières et cherchant à bousculer les frontières établies des disciplines entre elles, afin d’opérer tant formellement que symboliquement cet acte d’effraction qui lui est propre. L’exposition présentera des peintures, des sculptures en céramique et une installation monumentale, autant de matières qui dialoguent les unes avec les autres et témoignent des métamorphoses envoûtantes de l’artiste.

 

Le temps de cette exposition, l’espace de la galerie devient un théâtre, où l’artiste et le public sont invités à rejouer l’histoire à leur manière, à se réapproprier les représentations dont ils ont été l’objet. Roméo Mivekannin choisit de s’inviter là où on ne l’attend pas et de déjouer la place qui lui a été assignée. Il s’introduit comme par effraction dans l’espace de la peinture orientaliste européenne, plastiquement par son autoportrait, symboliquement par le renversement que cette réinterprétation implique, d’un regard subi à un regard choisi.

 

La série de peintures sur toile présentée dans l’espace de la galerie est inédite car Roméo y fait usage de la couleur, révélant par ailleurs une maîtrise magistrale des pigments. Elle s’articule autour du thème de l’orientalisme, avec en miroir la notion d’occidentalisme ; de la construction du regard occidental sur l’ailleurs et du recours à des éléments visuellement séduisants pour masquer certains rapports de domination inhérents aux scènes représentées. Ces œuvres sur toile libre prolongent le geste de Roméo Mivekannin d’incarner le contre-récit de certains discours de domination, en se saisissant avec ironie et subtilité de l’acte d’auto-représentation. L’artiste réaffirme ainsi le sens subversif qu’il confère à l’acte de réappropriation qui, quand il procède d’une imitation de l’autre, est immanquablement aussi une façon de le révéler en se révélant à soi-même .

 

Au milieu de ces œuvres, trois sculptures en céramique viennent marquer l’espace de leurs champs magnétiques chargés. Roméo Mivekannin a commencé ce travail de sculpture à la fin de l’année 2021, dans une démarche qui mêle abstraction – toujours en filigrane dans ses œuvres –, architecture – sa formation initiale – et une lecture sociologique et historique de l’espace. Roméo Mivekannin conçoit des céramiques au fini presque métallique, dont les formes parfois brutalistes sont inspirées de références plurielles, allant des mythes vodous aux espaces sacrés invisibles ; des photographies d’archives aux motifs ancestraux des architectures traditionnelles africaines.

 

Ici aussi, il y a surgissement. De l’artiste dans cette discipline ; de ces formes à partir de la terre. L’œuvre Aïzan, qui s’inspire en partie de la terrible photographie d’archive montrant un esclave au dos lacéré de coups de fouet, témoigne précisément de l'omniprésence sence de la blessure dans la réparation. L’effraction en appelle toujours à la fracture, et la céramique semble en ce sens un médium propice à l’articulation d’un processus de réappropriation autour de l’idée de faille, la brisure étant toujours possible et sous-jacente. Les deux autres céramiques sont inspirées de la divinité vodou appelée Tolegba, qui garde les lieux sacrés du Bénin, sorte de totem protecteur, parfois punitif, sur lequel on dépose des offrandes organiques, qui s’accumulent en couche épaisse avec le temps. Roméo Mivekannin propose ici deux versions du Tolegba, l’une complètement lisse et l’autre chargée de matières, qui symbolisent son ancienneté et sa puissance. Ces deux œuvres évoquent les jeux de temporalité et de miroir mis en place par l’artiste dans cette exposition ; quand le verre se brise, notre image se trouble, et peut-être alors peut- on voir l’envers du miroir déformant qui nous est tendu.

 

Enfin, dans le jardin de la galerie, le visiteur sera amené à découvrir une installation monumentale, en écho à l’arbre centenaire qui habite la galerie et veille sur elle. Pensée à la manière d’une chapelle, en hommage au père de l’artiste, cette installation crée un espace en forme de dôme, fait d’éléments géométriques en métal, divisé en deux parties, au cœur desquelles le spectateur peut s’enfoncer. Au sommet de chaque étage de ce dôme, se trouvent des bouteilles d’élixirs vaudous, symbolisant l’accès au monde invisible. Roméo Mivekannin propose ici une expérience plus intime et spirituelle, en créant un espace de recueillement, où  l’intérieur et l’extérieur communiquent et où chacun est invité à se reconnecter aux êtres de chair ou d’esprit qui les habitent.

 

Avec force et subtilité, l’artiste défait chaque fois un peu plus les fils de nos enfermements, et interroge ainsi nos héritages, collectifs et intimes. Les œuvres de l’artiste proposent une forme de stratégie de résistance qui mêle l’émotion au regard critique. Sous des formes plurielles et toujours sensibles, Roméo Mivekannin tente de répondre à la dépossession de sa propre image et de fissurer les rouages d’un pouvoir qui capture l’imagination d’individus ainsi que leurs corps visibles et tangibles.