Les œuvres de Marie-Claire Messouma Manlanbien sont comme des biographies, en image, de relations humaines : l’artiste les observe, elle les transforme en signes. Ces récits, depuis la matrice — notamment cette série de pièces, qu’elle réalise depuis quelques années déjà, qui sont comme des apparitions de la vie dans le pli du papier, depuis un orifice ou un noyau originel — se sont étendus à la représentation d’univers prolifiques, notamment dans les grandes pièces les plus récentes. Il y a toujours eu des pièces plus imposantes, mais la diversité, la richesse, de l’environnement qui les peuple s’est accrue.
Les diagrammes relationnels de l’artiste s’incarnent toujours à partir d’une base textile, ou, quand il s’agit de papier, celui-ci doit avoir une saveur proche du tissu : il y a du papier de soie, de la toile, du raphia, qui peuvent servir de socle à cette humanité. Et l’usage récurrent d’un textile spécifique, le kita ivoirien. Marie-Claire Messouma Manlabien le travaille en sculptrice : elle retire et elle ajoute, elle modifie le cours des motifs du tisserand. Cette qualité textile, omniprésente, fait que certaines pièces semblent proches du vêtements ; elles sont prêtes à devenir des robes.
Marie-Claire Messouma Manlanbien dit qu’elle observe les rapports entre les êtres humains, — avec attention et une sorte de recul peut-être — et les conséquences de ces rapports : blocage, stress, anxiété parfois. Ce sont pour ces heurts, ou ces silences entre individus, vivants ou défunts, qu’elle développe une grammaire plastique. Entre deux têtes elle modélise, — c’est à chaque fois une nouvelle invention sculpturale, ce sont parfois des cheveux, une broderie, une éponge taillée — un nœud : et voilà un blocage cosmogonique si ce n’est résolu, symbolisé. (Elle préfère nommer des « têtes » les petits masques inspirés du culte Akan qu’elle créé en plâtre ou en résine et qui peuplent ses œuvres, pour ne pas détourner l’attention.)
L’artiste ne s’intéresse pas aux relations entre êtres humains dans une acception réduite : elle étend ce regard au vivant, aux rapports entre les règnes humains, animaux, végétaux et les éléments. Il y a là le bourdonnement d’une série de heurts infinis et ce que ces commotions dessinent d’inexorable aujourd’hui pour les vivant·e·s. Dans son travail, toutes les formes de vie sont mises au même niveau, elles se confondent, les organes les plus essentiels se fondent dans le végétal, les espèces sont interdépendantes, nécessaires à leur survie mutuelle.
L’eau et la figure humaine ont gagné les œuvres les plus récentes. Étendues toujours plus cosmiques : il s’agit tout simplement de parler de la vie. Des écailles de cuir scintillantes, un « cuir de sirène » dit l’artiste, évoquent Mami Wata, toutes les eaux, les menaces qui pèsent sur elles, et le liquide d’un ventre maternel. Des êtres entiers, dédoublés, évoquent les crocodiles croisés (ou caïmans croisés) de l’imagerie Akan. Marie- Claire Messouma Manlabien explique que ces figures humaines, puisque son œuvre est lue et reçue dans différentes géographies, évitent que le discours ne se perde du côté de la « tradition » (ce qui pourrait arriver aux masques ou aux crocodiles), quelque chose qui n’a pas grand sens pour elle qui tente de parler avec des formes dans toutes les langues qui sont les siennes.
La sensation d’assister à la naissance, l’organisation ou la reconfiguration d’un monde, face à ses pièces, est aussi liée à la multiplicité des matériaux engagés — pierre, céramique vernissée, résines d’arbres aux tonalités ambrées (du « sang végétal » selon l’artiste), broderie (notamment à partir de cheveux et de poils pubiens), éponge grattoir, photographie imprimée sur toile, ou encore peinture et dessin sur soie — et à la multiplicité des motifs — têtes donc, mais aussi abeilles (« parce qu’elles travaillent ensemble pour maintenir leur écosystème »), hippocampes (« parce que c’est une incarnation du partage de la procréation »), mamelons ou coraux. L’invention technique et plastique est toujours merveilleusement en phase avec la puissance du motif : ainsi de ces grandes figures humaines que nous évoquions, dessins en noir sur blanc imprimés en négatif sur de la toile et auxquels la transformation en blanc sur noir donne un caractère galactique.
Marie-Claire Messouma Manlanbien le répète : chacun·e possède une aura. Et fonctionner ensemble est une obligation.
Eva Barois De Caevel