La Galerie Cécile Fakhoury a le plaisir de présenter l’exposition collective Can You Feel The Space that Space Occupies avec les artistes Binta Diaw, Marie-Claire Messouma Manlanbien et Roméo Mivekannin.
Construite autour d’un dialogue à trois voix, l’exposition se déploie comme une expérience sensorielle où les périmètres de l’être– physique, social , spirituel– sont rendus poreux les uns au contact des autres. Imaginez un grand tout, et dedans, chaque partie de ce tout est un tout en lui-même. Il (le tout, le grand) se transmue constamment sous les évolutions respectives des parties qu’il génère entre impermanence et fixité. L’entreprise artistique est alors la suivante : dresser une cartographie de l’existence comme une expérience à la fois infinie dans le temps et l’espace ; et à la fois profondément attachée à la notion de chez soi comprise certes comme un espace physique; mais aussi comme un lieu non matériel d’ancrage et d’appartenance.
Binta Diaw, Marie-Claire Messouma Manlanbien et Roméo Mivekannin abordent tous trois la dimension ontologique de l’être à travers leurs efforts pour lui donner un endroit intelligible par nos consciences contemporaines peut-être un peu trop obnubilées par le tangible et déshabituées à voir au-delà du matériel. Mettre l’âme en forme tout en soulignant les limites de cette forme (Binta Diaw), déposer le transcendantal de l’esprit dans le concret de l’objet et donner à imaginer l’immanence (Marie-Claire Messouma Manlanbien), ou encore rendre abstraits les rouages implacables du pragmatisme social contemporain (Roméo Mivekannin), les réponses que ces trois artistes nous proposent sont plurielles et appellent peut-être avant tout à une lecture instinctive et émotionnelle plutôt qu’à la mobilisation de connaissances factuelles : l’exposition, comme le mantra auquel elle emprunte pour son titre, est une méditation à éprouver.
Les photographies et vidéos de Binta Diaw révèlent le corps comme le lieu des combats menés au cours d’une vie, les épreuves endurées, les moments de bonheur. Ces Paysages corporels mettent en évidence le corps en tant que champ de résistance, de pouvoir et d'action. Binta Diaw y capture des fragments de sa propre anatomie et réimagine par des jeux lumière et d’ombres ces empreintes qui métamorphosent les contours de son êtredevenu terre traversée de sentiers et ponctuée de plateaux. Au sous-sol, la vidéo Essere Corpo est le fruit d’une démarche introspective de l’artiste explorant la continuité entre les cycles féminins, la nature et l'art.
Au sein de ses œuvres et installations, Marie-Claire Messouma Manlanbien opère une fusion entre les arts textiles, la sculpture et le dessin en utilisant une combinaison de matériaux à la fois industriels (comme le cuivre, le laiton et l'aluminium) et naturels (tels que des coquillages, des fibres de raphia, de la sève d'arbre et de la corde). S’inspirant des traditions culturelles des sociétés matriarcales akan du Ghana et de Côte d’Ivoire ainsi que de sa culture créole, l’artiste combine des éléments en provenance de ces différents univers, dont elle explore les symboles en interrogeant les espaces et les expressions de la féminité, autant que le rapport aux traditions artisanales au sein d’une société industrialisée. Marie-Claire Messouma Manlanbien élabore ainsi des paysages qu’elle nomme Maps [Cartes] dialoguant avec les pratiques de la cartographie, autant que des « vêtures » ainsi qu’elle les appelle et des objets du quotidien.
Au carrefour de la tradition séculaire et du monde contemporain, Roméo Mivekannin fait lui aussi dialoguer des références multiples qui s’enrichissent de leur cohabitation au sein de ses œuvres abstraites : les apports du courant Support/Surface qui dans les années 1960 en Europe remettent en question les moyens picturaux traditionnels; les fascinantes occurrences de la peinture rupestre et ses teintes liées à la nature et l’environnement dans lequel elle émerge ; la tradition vaudou et ses élixirs à base de plantes qui préparent ici les toiles ; ou mais aussi l’abstraction russe. Ces références offertes à nous sans hiérarchie par l’artiste composent alors de nouveaux motifs de contemplation et nous invite à parcourir les œuvres à la manière de mandalas aux résonnances universelles.