Focus sur / To A. Rimbaud, Ouattara Watts: Partez à la rencontre du travail d'un artiste à travers l'analyse d'une de ses œuvres

30 Avril - 7 Mai 2020
  • Cette semaine, nous vous invitions à découvrir To A. Rimbaud, une œuvre de l'artiste ivoirien Ouattara Watts. 

     

    Francis Corabœuf, directeur du showroom de la Galerie à Paris, nous propose une lecture personnelle de cette œuvre. 

     

     

    En savoir plus sur l'artiste
  • Nous débutions la semaine dernière une nouvelle période sous le signe du Taureau. Au moment où nous sommes cloués au sol et regardons de nouveau le ciel comme un endroit impossible à atteindre, c’est le plus fort des signes de terre qui vient nous ancrer un peu plus pour un certain temps encore. Abidjan, Dakar, Paris, soudainement nous nous sommes retrouvés loin les uns des autres. Le possible d’hier ne l'est plus aujourd'hui, tout du moins pas de la même manière. Malgré cela, il y a un artiste qui conserve le pouvoir de nous rapprocher du ciel et des étoiles, c’est Ouattara Watts. Dans ses œuvres, le peintre du Cosmos invoque un ordre immuable, cyclique et ancestral. La temporalité de ses œuvres n’est pas marquée par les tempêtes de notre époque, elles font appel au passé, au présent et au futur en même temps, dans un même continuum.

     

    La peinture intitulée To A. Rimbaud est une porte vers ce continuum dans lequel sont inscrits les signes que seuls des initiés peuvent comprendre. Ouattara Watts étant un peintre du mystère, il ne sert à rien de chercher les significations exactes de ces éléments. Il faut juste apprécier l’épaisseur de ce mystère qui fait le corps et la consistance du fond noir de cette peinture. Le noir d’une nuit dans lequel viennent prendre place des points, des étoiles comme une constellation. Peut-être trouverons-nous parmi celles-ci Aldebaran, l'œil rouge-orange du taureau du zodiaque qui nous regarde en ce moment. Comme son nom l’indique, l’œuvre est dédiée à Arthur Rimbaud, le poète adolescent mythique qui vécut les dix dernières années de sa vie en Abyssinie. Dans la partie droite du tableau, sur une taie d’oreiller blanche collée à la toile, Watts inscrit : ETHIOPIA. Plus bas, on peut lire en lettres rouge sombre : Rimbaud. Cette taie d’oreiller sur laquelle on pose notre tête au crépuscule nous ouvre vers le monde du sommeil, des rêves et des cauchemars, elle ouvre vers la nuit où tout est brouillé, inversé, où tout peut arriver. A propos de cette double vision, le critique d’art Gérard Barrière écrivait en 1990 : « Puis l’œil s’ouvre. Mais l’œil s’est-il vraiment ouvert ? Plus exactement, sur quoi s’ouvre un œil quand il s’ouvre la nuit ? Quand il s’ouvre sur ce que nul œil ne peut voir ? Sur quoi s’ouvrent nos yeux lorsqu’ils ne s’ouvrent pas sur le visible ? »

     

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    Et que va chercher Arthur Rimbaud quand il part en Afrique en 1880 ? Commençait-il son initiation, sans le savoir, ce « Voyage à travers la nuit » que Watts évoque dans ses peintures, dont on sort transfiguré, au terme duquel on est un initié ? Que va chercher un poète dans cette nuit africaine que les européens ne connaissent pas ? Encore aujourd’hui l’Occident projette un imaginaire débordant sur ce territoire, géographique et mental, pour le meilleur et pour le pire. Dans Les détectives sauvages de Roberto Bolaño, un de mes livres de chevet, le poète Arturo Belano part à Luanda avec, peut-être, l’intention de disparaître : « A Paris, les gens s’éloignent, les gens rapetissent et on a le temps, même si on le veut pas, de leur dire adieu. En Afrique non, là-bas, les gens parlent, te racontent leurs problèmes, et puis un nuage de fumée les engloutit et ils disparaissent, comme a disparu Belano cette nuit-là, soudain. ». 

     

     

  • Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course / Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. / Mes étoiles au ciel...

    Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course / Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. / Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou écrit Rimbaud dans Ma bohème. Maintenant comparez l’alchimie des mots, et l’alchimie des formes et des couleurs. Le rythme des formes compose une mélodie. Les points, les cercles, les étoiles deviennent les notes d’une partition céleste, et cette tache de peinture rose en bas de la toile implose à mi-chemin entre notre rétine et notre cortex pour devenir un autre moment de conscience intime et cosmique dont le peintre magicien a le secret. Sous le signe du taureau nos sens sont exacerbés et c’est alors le moment parfait pour regarder l’œuvre de Watts et se laisser guider de manière intuitive. Le Taureau demande aussi de prendre soin des autres et de soi-même. Ma prière d’aujourd’hui sera alors pour nous tous qui sommes loin les uns des autres en souhaitant de nous retrouver le plus vite possible, dès que notre monde aura terminé sa mue, à Abidjan, Dakar, Paris, Bingerville, Bordeaux, Keur Massar, New York… et partout ailleurs.

     

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