Focus sur / Ndekane, Kassou Seydou: #1

Cette semaine, nous vous invitions à découvrir Ndekane, une œuvre de Kassou Seydou, artiste sénégalais né en 1971 à Ziguinchor. 

Delphine Lopez, directrice de la Galerie Cécile Fakhoury à Dakar, nous propose une lecture personnelle de cette œuvre. 

Au début de l’hiver 2019, Kassou Seydou achève un ensemble de toiles qui viennent compléter et conclure la série d’œuvres qu’il avait initiée pour son exposition personnelle Mbindoum Kaw Gue  à la galerie de Dakar au Sénégal. « Mbindoum kaw gue » signifie en Wolof « l’histoire qui est en train de s’écrire » et pourrait tout aussi bien résumer la recherche plastique de Kassou Seydou dont la démarche en série explore des thématiques qui se suivent et se répondent comme les chapitres d’un récit visuel en construction. 

Dans cette série de toiles de la fin 2019, une en particulier m’a interpellée, Ndekane. Il faut dire que les teintes de cette œuvre sont assez peu courantes dans la palette de l’artiste – une déclinaison de bleus clairs, de verts d’eau, de mauves polaires. Des couleurs de l’onde pour un peintre du feu. Dans son atelier, Kassou Seydou peint sous les rayons du soleil de Keur Massar, en proche banlieue de Dakar. La vive lumière naturelle est un outil de peinture influant tant sur la construction de l’espace pictural que sur l’intensité des couleurs. Le soleil comme filtre tout puissant dans l’art comme dans la vie. 

Comme toujours chez Kassou Seydou, l’œil demande à déchiffrer un espace qu’il n’est pas habitué à voir. Il s’opère parfois dans les œuvres de l’artiste ce phénomène remarquable qui consiste à ce que la densité de la figuration soit telle qu’elle conduise à une sorte d’abstraction du regard. On observe la succession des bandes colorées dans le fond, les figures des personnages et leur habits lumineux, les tracés curvilignes enfin qui rassemblent le tout ; et l’on pourrait voir comme une scène dans ses grandes lignes. Pourtant la profondeur des œuvres de Kassou Seydou exige le temps de l’accommodation. Point de lignes de perspective, ni de jeu d’ombre et de lumière qui viennent structurer l’image comme dans la peinture classique mais un équilibre subtil entre les proportions des personnages et leur placement dans le plan. Chaque élément ne se comprend dans l’espace de la toile qu’en interdépendance l’un par rapport à l’autre. Ici, le principe esthétique est révélateur de la vision de l’artiste et du message de l’œuvre. 

Kassou Seydou cherche à peindre la société contemporaine sénégalaise en insérant dans des scènes parfois complexes les indices d’un chemin à suivre vers l’harmonie ; celle d’un monde où les hommes et la nature cohabiteraient au-delà des rapports de prédation et de consommation ; celle d’un monde où les hommes accorderaient foi en les enseignements de cette nature et du passé, en la richesse d’un héritage, en la splendeur d’un terroir que nous rappelle l’ensemble des figures animales et végétales qui peuplent la toile. 

« Ndekane » : « confier la garde de quelqu’un ou de quelque chose à une personne de confiance » en wolof. La scène est à la fois littérale et métaphorique. À droite, l’enfant rejoint l’homme qui l’accueille à bras ouvert. Au premier plan, à gauche de l’œuvre, un homme se tient droit, appuyé sur un arbre qu’il enserre de ses bras dans un mouvement qui rappelle celui de l'homme envers l’enfant. Dans cet arbre, génies et fétiches veillent. Ils sont le flux du tronc, la présence de la scène et la mémoire du temps. Ndekane m'évoque un passage initiatique, la puissance cryptique d’une cérémonie du bois sacré qui marque l’entrée du garçon dans la vie d’homme et qui est pratiquée traditionnellement par l’ethnie Diola en Casamance au Sud du Sénégal dont est originaire Kassou Seydou. Ndekane est aussi une représentation du temps, une temporalité cyclique où le futur ne peut être sans la reconnaissance du passé et l’ancrage dans le présent. 

Quand il parle de son travail, Kassou Seydou évoque souvent l’écriture au monde du destin de chacun. Il tente, dans un geste absolu, de le rendre visible à travers la matrice de motifs curvilignes qu’il prolonge de toiles en toiles, comme un script du contemporain. Ces lignes me font aussi penser au temps, plus exactement à une certaine manière d’appréhender le temps que l’on retrouve en Afrique de l’Ouest quand on observe la vie dans les interstices des métropoles globales. Finalement, le message de Kassou Seydou n’en demeure pas moins universel à l’instar des signes empruntés à diverses cultures, chinoise, cabalistiques dont la force symbolique et signifiante dépasse la simple localisation géographique. Ici, le message est bien celui de l’ancrage et de la transmission. L’œuvre comme image méditative, Ndekane est un temps de pensée, une parenthèse pour réinventer notre être-au-monde, avec les autres et pour les autres ; avec le monde et pour le monde.