Les âmes du peuple noir: Roméo Mivekannin - ABIDJAN

19 Septembre - 28 Novembre 2020 Project Space - Abidjan, ABIDJAN

L’artiste Roméo Mivekannin puise son inspiration dans des fonds d’archives photographiques ou des toiles iconiques emblématiques de l’histoire de l’art occidentale. De Vente d’esclave de Jean-Léon Gérôme (1873) à Olympia de Gustave Manet (1863) en passant par les premiers portraits photographiques des monarchies coloniales de la seconde moitié du 19e siècle, Roméo Mivekannin se concentre particulièrement sur les représentations ambiguës des figures noires, sources tant de fascinations que de craintes, tantôt anonymisées, érotisées ou objectivées et destinées à l’œil quasi exclusif d’un spectateur masculin et euro-centré.

 

Les œuvres de l’artiste, peintures à l’acrylique noire sur des toiles teintées par des bains répétés d’élixir, se font alors le lieu de la remise en question d’une iconographie marquée héritée des systèmes de trafic humain et de domination qu’ont été l’esclavage et la colonisation. Traçant une ligne directe continue entre une histoire passée et contemporaine, l’artiste choisit de reprendre les faits de ces représentations historiques et d’en subvertir leur narration première afin de construire, non sans ironie, sa propre vision des récits communs. 

 

"Me prendre comme sujet, prendre mon propre corps comme sujet."

 

Roméo Mivekannin déploie un procédé de citation plastique éloquent. D'une œuvre à l’autre, les compositions des toiles ne cessent de dialoguer avec une histoire visuelle complexe faite de références directes à la peinture classique et aux images d’Épinal qui ont défini la représentation des noirs dans l’Europe du 19ème siècle.

 

Confronté à l'incapacité de s’identifier lui-même à ces images et à tisser une filiation avec ces récits de l’histoire, Roméo Mivekannin s’insère dans ces régimes de représentation, substituant son propre portrait à ceux des personnages noirs originaux. L’apparition répétée du visage de l’artiste tantôt au premier plan, tantôt dissimulé dans les foules de figurants est troublante.

 

Comme une assertion sans compromis, la répétition incarne sa volonté de se réapproprier un régime de visibilité dont il était jusqu’alors exclu. Chez Mivekannin, l’acte de représentation se fait ainsi rituel intime d'accession à l’identité. Chaque oeuvre possède son propre temps historique. Les toiles sont plongées à plusieurs reprise dans des bains d’élixir dont seul l'artiste connait la composition, et qui leurs donne leur coloration unique. Vient ensuite le temps de la peinture. "Dans la tradition vaudou, explique l’artiste, chaque dieu correspond à un ancêtre décédé. Quand on porte le masque de l’un de ces dieux, d’une personne qui a vécu, c’est un acte de libération". 

 

En face de la galerie principale, dans le Project Space, Roméo Mivekannin propose une installation autour du livre The Souls of Black Folk, de W. E. B. Du Bois, ouvrage fondateur des mobilisations autour de la reconnaissance des droits des noirs, aux Etats-Unis et dans le monde. L’installation est composée de 31 portraits de personnalités noires politiques ou issues du monde de la culture, doublés de la sérigraphie d’une des pages du livre. Ces femmes et ces hommes ont joué ou jouent un rôle important, dans la lutte contre le racisme, les discriminations et la réécriture d’une histoire politique et culturelle des noirs. Roméo Mivekannin propose ainsi de revenir sur l’évolution des luttes pour les droits des Noirs au travers de personnalités à la position, aux discours et à la popularité très différents. Au centre de la toile, représentées dans toute leur diversité, sujets de l’œuvre et mises en avant pour leurs accomplissements, la représentation des personnes noires va ici dans le prolongement des toiles présentées dans la galerie principale. Au-delà du processus de reprise des toiles de l’art occidental, Roméo Mivekannin ajoute ainsi son visage à la galerie de portraits qu’il présente, en tant que critique, créateur et figure d’une nouvelle génération à venir.

 

Dans ses œuvres, Roméo Mivekannin met à jour les rouages de la représentation qui portent les systèmes de domination et y introduit une critique subtile, à la frontière entre réécriture d’une mémoire collective et réparation d’une fracture identitaire personnelle.