Ranti Bam est une artiste britannico-nigériane née en 1978 à Lagos au Nigéria vivant et travaillant actuellement entre Londres, Lagos et Paris. Elle est diplômé de l’école Sir John Cass (Londres) et a été admise dans le célèbre cours de céramique de City Lit. Ayant grandi sur deux continents, l’argile est devenue pour l’artiste un moyen de donner une forme cohérente à ses multiples identités et d’habiter ainsi pleinement la culture matérielle et spirituelle de ces deux mondes. Fusionnant une approche picturale et sculpturale, Ranti Bam travaille l’argile dans son état naturel non renforcé et pousse la matière jusqu’à ses limites de tangibilité, faisant entrer son travail en résonance intime avec les concepts de fragilité et de vulnérabilité.
Dimitri Fagbohoun est né en 1972 à Cotonou, Bénin. Il vit et travaille entre Paris, Bruxelles et Cotonou. Artiste bénino-ukrainien, le travail de Dimitri Fagbohoun est indissociable de sa propre expérience et de son identité plurielle. Protéiforme, par les formes hétérogènes utilisées, ses œuvres expriment un rapport aux identités et à l’histoire dans lequel son écriture dérange les modèles qui les constituent. À travers sa pratique de la céramique, on retrouve convoqués des traditions ainsi qu’un imaginaire liés à l’alchimie et à la transformation de la terre par le feu. Entre hommage à la plastique africaine et création d’une nouvelle cosmogonie, c’est en fait son propre syncrétisme que l’artiste met en scène. Les formes qui en résultent intègres l’importance de se réapproprier son héritage tout en s’inscrivant dans la création et la nouveauté. C’est notamment la démarche que l’on retrouve dans les dessins de son fils tirés du corpus Adiyo qui sont le témoignage plastique d’entretiens entre son fils et l’invisible. De même pour l’arbre de vie One hundred and thousand nights, mettant en dialogue des éléments symboliques issus des traditions Bantou, Vaudou et de la Kabbale, où l’artiste donne à voir la puissance du verbe incarné, ici matérialisé, exprimé, dévoilé. Sur les disques de cuivre, soleils d’une nouvelle constellation, reposent des masques africains réinterprétés, d’un noir brillant, au centre desquels bat un cœur puissant. L’installation nous confronte ainsi aux forces mystiques d’une cosmologie secrète ayant pour soleil la terre, porteuse de la mémoire du monde et lien de tous les vivants entre eux.
Fanny Irina est née en 2000 à Bondy en France, et vit actuellement à Paris, où elle est étudiante en quatrième année des Beaux-Arts de Paris. À la manière d’une conteuse d’histoire, Fanny Irina nous relate des récits accompagnés de personnages hybrides. Au travers de la variété des matières qu’elle explore – crayon, pastel, peinture sur textile, céramique – des thèmes reviennent, évoquant un monde à la croisée du fantastique et de l’intime. La série de dessins de Fanny Irina présentés dans l’exposition Ce que le monde doit à la nuit témoignent d’un désir d’épuisement de certaines formes. Le personnage à demi-couché, le buste relevé. Celui qui semble s’envoler, symbole de liberté corporelle et mentale. La lionne allongée, protectrice, héroïne de cette nouvelle série d’œuvres. Les arbres, personnages qui évoquent les questions d’enracinement, de territoire et de place. En parallèle de ses dessins, Fanny Irina présente une partie de son travail de céramique, initié au début de l’année 2022. Inspirées d’un jeu de cartes, les œuvres de Fanny en ont le format mais composent un jeu dont on ne connait pas les règles. Certaines sont planes, recouvertes de différents émaux, brillants ou mats, parfois presque gourmands, plus ou moins irisés. Elles semblent contenir en puissance les formes que l’on retrouve sculptées à la surface d’autres cartes – à moins que ce ne soit au fond d’elles ? Des têtes d’animaux, peut-être des totems, un loup, un renard, un poisson, un ours, un lion. Ils apparaissent ou disparaissent, ils ne se dévoilent pas complètement, encore protégés par leur monde de terre. Une certaine tendresse s’en dégage d’ailleurs, un trouble aussi peut-être, né de la confrontation à ces regards curieusement familiers. Une sorte d’inquiétante étrangeté qui résonne en cela pleinement avec les autres œuvres de l’artiste.
Marie-Claire Messouma Manlanbien est née en 1990 à Paris, où elle vit et travaille aujourd’hui. Fabricatrice de formes nouvelles, exploratrice de matières et de signes, Marie-Claire Messouma Manlanbien se définit elle-même comme une conteuse de poèmes. Dans ses oeuvres, Marie-Claire Messouma Manlanbien explore les liens qui existent entre les pratiques traditionnelles africaines, la pensée universaliste et la culture hybride qui est la sienne, en tant que femme française originaire de la Côte d’Ivoire. Le statut des oeuvres de l’artiste est pluriel, tantôt cartographies ou totems protecteurs, elles semblent aussi prendre les atours de reliques sacrées, abritant de la matière organique, du crin de cheval ou des mèches de cheveux, certaines étant disposées de manière à évoquer des cils, et donc un regard, une présence. En plus de la présence de la céramique dans ses œuvres textiles, Marie-Claire Messouma Manlanbien développe une pratique indépendante de l’argile. Ses créations sont porteuses de mémoire, d’informations et d’imaginaires témoignant des monde visibles et invisibles. On y trouve une forte influence de la culture Akan notamment à travers les Dja Yobwe -“Objet du Dja”- ces pierres revêtant une forte importance sociale et rituelle dans la société Akan. Retravaillés par Marie-Claire Messouma Manlanbien, ces objets ancestraux prennent des formes nouvelles et nous invitent à définir nous-même nos propres frontières.
Roméo Mivekannin est né en 1986 à Bouake en Côte d’Ivoire. Il vit et travaille aujourd’hui entre Toulouse en France et Cotonou au Bénin. Au croisement de la tradition héritée et du monde contemporain, Roméo Mivekannin intègre ses créations au sein d’une temporalité ancestrale, fabriquant ses propres rituels, en écho à la cosmologie vaudou, très présente au Bénin. Comme en témoignent les deux œuvres présentées dans cette exposition, Roméo Mivekannin explore un certain formalisme esthétique, à la limite du brutalisme, au travers de son médium devenu classique, la peinture et teinture sur toile libre, mais aussi au travers de sa rencontre plus récente avec la céramique. L’artiste s’inspire de formes rituelles et spirituelles africaines et les revisite par une épuration des formes et une quête de leur essence radicale. L’argile est travaillée dans le même esprit, à la recherche d’une matière à la limite du métal, qui trouble les frontières établies entre les disciplines. La sculpture présentée est intitulée Sadó, qui en langue fon fait référence à Sadanù, qui a été le lieu de la réconciliation entre quatre frères au Bénin, dont l’histoire se répète oralement depuis des décennies. Lors de la réconciliation, l’un des quatre frères, Gè (qui signifie le monde), est mort et a été enterré là-bas. A la suite de cette rencontre, les trois autres frères se sont séparés, et deux d’entre eux ont fondé le royaume d’Abomey, d’où Roméo Mivekannin est originaire. Esthétiquement, l’œuvre Sadó exprime le mélange culturel des formes sur le continent africain et les circulations d’inspirations et de motifs. La notion même de mélange fait également référence à l’expérience intime de l’artiste, arrivé en France à 17 ans et confronté soudainement à la rencontre avec une altérité radicale, qui a été à l’origine de ce que Roméo considère comme une métamorphose de son être.
Sadikou Oukpedjo est né en 1970 à Kétao au Togo, Sadikou Oukpedjo vit et travaille à Abidjan en Côte d’Ivoire. Pour Sadikou Oukpedjo, les contes, la cosmogonie, les rites, la sorcellerie, sont autant de tentatives et d’outils créés par l’homme afin de trouver sa place dans le monde et apprendre à se connaître. En explorant les rapports ambigus que l’homme entretient avec son animalité, il questionne notre conscience face à la cruauté des rapports humains, en Afrique et dans le monde. L’invisible et sa puissance, l’inconnu et le caché apparaissent comme un fil rouge, s’inscrivant dans l’exploration de la conscience humaine comme une même quête qui traverse l’évolution de ses recherches plastiques. L’installation présentée ici date de 2015 mais n’avait encore jamais été présentée sous cette forme. Elle rappelle la formation première de Sadikou Oukpedjo en sculpture, notamment à la terre cuite, dans l’atelier de Paul Ahyi au Togo. On y retrouve les motifs des têtes et de la cage, très présents dans les œuvres de l’artiste, qui semblent toujours habtiées d’une puissance magique. Elles semblent parfois nous avoir été révélées d’un temps immémorial, comme excavées d’un lieu préservé par le passage du temps. A qui sont ces têtes entassées derrière les barreaux ? Que dit leur mutisme ou leur cri silencieux ? Ne seraient-ce pas les nôtres, enfermées dans nos illusions, nos croyances ou nos peurs ? Dépasser la séduction, dépasser l’effroi, sortir de l’inertie et faire de l’espace pictural un lieu d’invention de nouvelles mythologies, telle est l’entreprise poétique de Sadikou Oukpedjo.