L’esprit du large: Group Show

27 Juin - 14 Septembre 2019 DAKAR

L'Esprit du large est une invitation à voir au loin, à décloisonner les regards et les savoirs ; une invitation aux échanges à la croisée des chemins. Ici, les œuvres se rencontrent sans ordre impose, elles dialoguent et se répondent au gré des imaginaires des artistes. De l'une à l'autre, elles suggèrent de nouvelles itinérances.

Aux premières notes de cette symphonie visuelle, les toiles de Vincent Michéa font résonner une fièvre dakaroise pas si lointaine. Les groupes Orchestra Baobab et l'Etoile de Dakar créés dans les années 1970 évoquent l'histoire musicale d'un Sénégal à la croisée des cultures. Depuis plusieurs années, Vincent Michéa peint à l'acrylique des pochettes de vinyle. L'artiste a peu à peu constitué une anthologie visuelle des musiques d'Afrique de l'Ouest, consignant à travers l'histoire personnelle de ses rencontres et affections pour ces musiques, celle plus générale d'une culture populaire dont certains pans ont aujourd'hui disparu.

Les toiles de Dalila Dalléas Bouzar s'imposent à nous avec l'assurance d'une chorégraphie mille fois répétée. Parade rituelle, incantatoire ou guerrière, la puissance du corps féminin est scandée avec force. Les ciels, en proie à leur humeur propre, surplombent chacune de ces silhouettes. Ils semblent être les extensions de ces âmes sorcières-guerrières. Les gestes de leur chorégraphie sont dépositaires d'un savoir ancestral. Interrogeant dans sa pratique les codes de la représentation en peinture, Dalila Dalléas Bouzar n'a de cesse de réintroduire dans ses œuvres les figures dissidentes d'une histoire vernaculaire.

 

La série de photographies réalisées par François-Xavier Gbré au Bénin en 2012 célèbre, à travers ses images énigmatiques, la puissance ambiguë que peut prendre un symbole de mémoire. La statue de la Réconciliation à Cotonou au Bénin située sur l'esplanade de la Porte du Non Retour incarne la responsabilité des Etats dans le commerce triangulaire. Deux statues similaires existent à travers le monde, Liverpool au Royaume-Uni et Richmond aux Etats- Unis, traçant ainsi par ces trois lieux une géographie physique et symbolique. Des vestiges coloniaux aux paysages modifiés par l'actualité, François-Xavier Gbre explore des territoires et revisite l'Histoire.

 

Les lettres arrondies et la douceur de la lumière du néon de Dimitri Fagbohoun pourraient rendre l'objet décoratif si le mot inscrit n'était pas si lourd d'histoire. Le mot « nègre » se tient ici comme une enseigne lumineuse familière, celle d'un commerce à l'ère de la globalisation contemporaine dont les formes adoucies et léchées pourraient séduire, mais dont le fond reste violence. Exorciser le poids de l'histoire en prononçant le mot - nègre - et faire de lui un outil sémantique riche pour panser une identité contemporaine. Dimitri Fagbohoun exprime un rapport à l'histoire dans lequel son écriture dérange les modèles qui la constituent.

Avec Travel through the night, Ouattara Watts nous plonge dans sa fascination pour la couleur noire. Noir comme la nuit, noir comme la moitié de la toile, noir duquel émerge une série de symboles et de signes. Chiffres, formes mais aussi textures et tissus composent le langage plastique de l'artiste. Chaque toile est un microcosme dynamique, partition en négatif des cultures qui composent son univers : musique jazz, traditions et rites africains, numération abjad et guématria hébraïque pour ne citer que quelques-unes de ses influences. Dans sa peinture Ouattara Watts explore des liens spirituels qui transcendent géographie et nationalités.

 

Avec ses machines nuages, Yo-Yo Gonthier veut nous entrainer ailleurs, nous faire prendre littéralement le large. Dans la démarche de l'artiste, la frontière entre les éléments est souvent fluide : l'animal marin est ici l'inspiration de la machine volante. Les photographies des carnets puis des maquettes laissent deviner la figure d'un artiste inventeur dont la fonction est vitale : imaginer d'autres mondes. Photographe plasticien, Yo-Yo Gonthier questionne l'effacement de la mémoire dans une société occidentale où la vitesse, le progrès et la technologie semblent être les valeurs essentielles.

La sculpture sans tête de Jems Koko Bi allongée sur une planche semble plongée dans la lecture d'un ouvrage. Se débarrasser de la tête qui pense, de l'esprit qui rationalise et qui juge. Se débarrasser de la tête et ouvrir son cœur. A la fois sculpteur et performeur, Jems Koko Bi mélange des influences avant- gardistes à son histoire résolument africaine.